Définir les métropoles ? Mission impossible ! Comment donc proposer « la » bonne définition alors qu’il n’existe aucune unanimité dans la communauté scientifique à ce sujet, ni aucun classement harmonisé à l’échelle internationale ? Essayons malgré tout de parcourir les approches européennes des métropoles, puis demandons-nous si le temps des métropoles n’est pas… révolu.
Trois usages du mot métropole se confondent souvent : symbolique, politique (stratégique) et scientifique.
Politiquement d’abord, et avant même de disposer de « contenus », la métropole reste une technique d’action publique, un lieu stratégique et un échelon territorial inscrit dans un système administratif qui vise à organiser l’espace. L’Église catholique et l’Église orthodoxe ont utilisé cette technique de la métropole, chef-lieu d’une province ecclésiastique, pour asseoir leur autorité, d’où les archevêchés métropolitains (métropolites). Cette technique politico-administrative est à l’oeuvre en France dans les nouvelles « métropoles ». À ce rôle administratif s’ajoute un autre : celui d’instrument stratégique d’aménagement de l’espace, illustré par exemple par la politique actuelle de la Russie visant à favoriser à l’horizon 2025-2030 la concentration de la population dans vingt agglomérations géantes, à l’exact inverse des anciennes « métropoles d’équilibre » françaises.
Le deuxième usage du terme est lié à son effet symbolique, au prestige qu’il tire d’un terme proche, celui de capitale. Historiquement, la métropole exprime une relation centre-périphérie (la métropole et son espace colonial, d’où la métropole des Empires aztèque ou romain), héritage persistant de l’ère coloniale où le terme désignait la partie continentale de l'État où se situe la capitale. Le découplage métropole/capitale s’est produit à partir du moment où les activités de commandement ont été dispersées entre les villes, au moment où l’effet de pouvoir (lié à des fonctions, à des services…) s’est redistribué et où certains pouvoirs sont devenus autonomes. L’histoire des métropoles françaises rejoint celle des relations entre l’État et le local comme l’a montré Thierry Oblet. Maximisant le prestige (culturel, économique….) et s’appuyant sur l’enjeu politique de l’effet statistique (la « masse » de population), la métropole est aussi une cité dont tous les attributs se déclinent au superlatif.
C’est ici qu’intervient la troisième dimension : celle d’une réalité scientifiquement mesurable à partir d’indicateurs, d’équipements, de services (quelles fonctions doit offrir une métropole ?) et de seuils (quelle « ampleur » suffisante de tout cela pour « faire métropole » ?). Les scientifiques discutent des contenus des métropoles (ce qu’on y trouve) autant que des ressorts de leur attractivité et de leur rayonnement. L’exemple de « l’internationalité » est significatif : on y trouve pêle-mêle des éléments précis liés aux échanges commerciaux autant que des bricolages de données pour faire tourner un « concept » marketing des plus creux. Enfin, un dernier critère plus récent départage les scientifiques, celui des limites parce que les métropoles d’aujourd’hui ont changé : elles concentrent autant qu’elle relient et diffusent. À ce sujet, on voit se départager clairement deux options : l’une privilégie le territoire (la métropole comme centre identifiable), l’autre le réseau (la métropole comme région mobilisée).
L’Union Européenne s’est dotée clairement d’une approche de la métropole à visée stratégique, orientant l’aménagement du territoire, associant métropolisation et polycentrisme et privilégiant une approche par régions plutôt que par villes-centres. Une recherche scientifique et stratégique a été menée par le groupe Orate qui propose une définition des métropoles commune aux 27 pays de l’Union. À partir des principales régions fonctionnelles urbaines identifiées en Europe, 76 aires métropolitaines de croissance européenne (Mega) ont été retenues comme concentrant les scores maximum de population, de transport et d’accessibilité, d’éducation (universités, nombre d’étudiants), d’activité manufacturière ainsi que décisionnelles dans le secteur privé (sièges sociaux d’entreprises appartenant aux 500 plus grandes entreprises de chaque pays).
Ce groupe des 76 a été divisé en quatre catégories à partir de quatre indicateurs : la masse (croisant taille de population et Produit intérieur brut), la compétitivité (PIB/habitant et nombre de sièges sociaux appartenant aux 500 plus grandes entreprises européennes), la connectivité (passagers des aéroports et indicateurs d’accessibilité multimodale) et le niveau de connaissance (pourcentage d’actifs avec une formation supérieure et pourcentage d’employés dans les activités de recherche et développement). Huit de ces 76 aires métropolitaines se trouvent en France : Paris, Lyon, Toulouse, Nice, Marseille, Lille, Le Havre et Bordeaux. Des ensembles urbains comme Nantes ou Rennes y échappent.
Le coeur stratégique de ces aires métropolitaines, qui concentre l’essentiel de la productivité urbaine européenne, est constitué par un « pentagone » urbain rassemblant 32 % de la population de l’Union européenne (vingt-sept pays) et 43 % de son PIB sur seulement 14 % de sa superficie. Il est formé par les villes de Londres et Paris (deux « villes globales »), Milan, Munich et Hambourg. Cette approche privilégie la dimension démographique, le capital économique (pouvoir et présence de sièges sociaux) ainsi que la connectivité (noeud de réseaux de transports, de personnes et d’informations), délaissant les critères liés aux fonctions de commandement comme au « rayonnement » de ces métropoles. Les métropoles européennes sont donc surtout définies, dans ce cadre, par leur « empreinte économique », laquelle dépasse nettement les seules villes-centre autour desquelles elles s’articulent.
Dans un travail complémentaire de prospective sur ces régions métropolitaines à horizon 2030 réalisé deux années plus tard (2007), le réseau Orate distingue trois types d’évolution, en affinant son approche des villescentres et de leur rôle dans l’économie mondiale et européenne. Il y distingue les « villes globales », les « métropoles-socles » de l’Europe, les « Mega puissantes », les « Mega potentielles », les « Mega faibles » (en déclin ou fragiles), et enfin les « villes régionales/locales ». À partir de cette armature, trois scénarios ont été dégagés : un « scénario orienté vers la cohésion », un « scénario au fil de l'eau » et un « scénario tourné vers la compétitivité ». Dans le scénario « cohésion », Rennes apparaît comme une « Mega faible ». Elle reste dans les deux autres cas une ville à portée régionale/locale.
Une autre approche va prolonger cette définition européenne en introduisant plusieurs nuances importantes. Elle a été élaborée dans le cadre d’une évaluation stratégique liée à la mise en place d’un schéma de développement de l’espace Atlantique inscrit dans la stratégie européenne du Sdec4, censé présenter une vision partagée du développement futur de l'Union européenne et promouvoir un développement équilibré et durable du territoire. Son originalité est de dégager une approche fine des espaces métropolitains et des systèmes intermédiaires à rayonnement « fort », « moyen » ou « faible ».
Elle vise à caractériser les territoires et les systèmes urbains, leurs relations et leurs dynamiques sur dix ans, en couvrant un ensemble de champs tels que la compétitivité, l’internationalisation, le capital humain, la connectivité, la coopération interrégionale. Quatre niveaux ont été identifiés : les aires métropolitaines, les systèmes intermédiaires, les villes moyennes et les espaces à faible densité. Evoquons les trois premiers.
Les aires métropolitaines (niveau 1) recoupent assez largement les Megas évoquées plus haut : mono ou polynucléiares, elles sont directement liées à la globalisation à laquelle elles contribuent activement, autour d’une métropole définie par son rayonnement international, sa position stratégique sur les noeuds des grands réseaux mondiaux et ses fonctions supérieures, avec un seuil minimal pour la ville centre de 500 000 habitants. Certains systèmes dépasssant ce seuil démographiques mais ne sont pas retenus faute d’une gamme de fonctions suffisamment diversifiée et à cause d’un rayonnement limité au cadre régional.
Puis, plus intéressants, les systèmes intermédiaires (niveau 2) liés à la revalorisation des fonctions supérieures (services aux entreprises…) et à la mobilisation collective des villes. Ces systèmes sont cruciaux ; ils se situent à l’articulation entre deux niveaux différents de la hiérarchie urbaine : ils peuvent établir des relations avec les métropoles européennes, mais aussi avec des espaces plus ruraux et avec des villes de même rang. Ainsi, la ville intermédiaire qu’il convient d’identifier comme ville se situant à l’interface entre la ou les métropoles et leur espace national/ régional correspond à une ville disposant d’un rayonnement à une échelle au moins régionale. Une ville (ou un système) intermédiaire est une ville (ou un système) fortement lisible au niveau national. Si les métropoles émergent au niveau européen, les villes intermédiaires se révèlent principalement dans leur contexte national.
Les villes intermédiaires sont amenées à jouer un rôle de charnière car elles effectuent le lien entre les espaces nationaux et régionaux, entre les métropoles et les villes soit plus petites, soit de même taille mais n’offrant pas un même niveau de fonctions supérieures. Une ville intermédiaire polarise son territoire en proposant des services divers et variés. Parmi ceux-ci, on retrouve des fonctions administratives, culturelles, de santé, d’enseignement et de diffusion de connaissance, etc. Au niveau économique, elle se doit d’être compétitive et dynamique, mais aussi de représenter un poids relatif conséquent dans son environnement. Afin de remplir son rôle, son accessibilité doit être suffisante pour produire et capter des flux à différentes échelles territoriales. Sa desserte doit être optimisée grâce à des connexions à des réseaux variés de transport et d’informations (réseaux à haut débit…).
Enfin, les villes moyennes (niveau 3) correspondent aux rangs inférieurs de la hiérarchie urbaine, qui se définissent par des fonctions plus banales et une offre de services courants aux entreprises et aux ménages, tout en étant elles-mêmes souvent sous l’influence d’une métropole ou d’une ville intermédiaire.
Concrètement, en France, les aires métropolitaines européennes de niveau 1 sont trois : Nantes –Saint-Nazaire, Bordeaux et Toulouse, chacune rassemblant près d’un million d’habitants (avec les villes moyennes concernées). Puis au niveau 2, toujours vu d’Europe, les villes intermédiaires françaises ont une population entre 227 396 habitants et 765 149 habitants (pour le système rennais dont le centre n’atteint pas 500 000 habitants et qui, pour cette raison, ne peut être classé parmi les métropoles). Il s’agit pour l’essentiel d’aires urbaines dont le niveau d’intégration est lié à de très fortes interrelations entre une ville principale et des villes proches de moindre importance, et donc, des systèmes ou grappes de villes de Rennes – Vitré – Fougères – Dinard – Dinan – Saint-Malo ; Brest ; Le Havre, Rouen ; Bayonne – Biarritz – Anglet ; Limoges – Saint-Junien ; La Rochelle – Rochefort ; Poitiers – Châtellerault ;Tours – Blois – Vendôme ; Le Mans – Sablé – La Flèche ; Orléans – Pithiviers – Châteaudun,...
Le plus intéressant est cette nuance qui permet aux auteurs de classer Nantes – Saint-Nazaire dans les aires métropolitaine de niveau 1 à rayonnement moyen, et Rennes – Vitré – Fougères – Dinard –Dinan – Saint- Malo dans les systèmes intermédiaires de niveau 2 à rayonnement fort. Notons d’ailleurs que dans le niveau 3 (villes moyennes) se trouvent des systèmes polynucléaires ou des villes isolées comme Lorient – Quimperlé, Quimper – Concarneau, Bourges – Romorantin – Vierzon, Saint-Brieuc – Guingamp, Laval – Mayenne – Château- Gontier – Segré, La Roche-sur-Yon – Les Sablesd’Olonne, Cherbourg, Périgueux…
Profitons de cette vision européenne plus extensive des systèmes métropolitains pour pointer deux illusions associées aux débats sur les métropoles et dont il apparaît nécessaire de se départir.
Tout d’abord, la métropole a pu être (et reste) fustigée notamment au nom d’idéologies qui prétendent qu’elle capte les richesses de ses territoires. Ainsi, la métropolisation se traduirait par une polarisation de l'espace sur les métropoles qui monopolisent la croissance démographique, le développement économique et détournent les flux, au détriment de l'arrière-pays rural et des petites villes de la région. Fausse par son approche ultrasimplificatrice (les mécanismes territoriaux de redistribution sont autrement plus complexes), cette idéologie est dangereuse parce qu’elle surestime les capacités de développement endogènes des territoires associés aux métropoles, grevant durablement les capacités de mobilisation collective en minimisant les dépendances réciproques qu’elle réduit à des hiérarchies asymétriques.
La seconde illusion concerne la supposée autonomie des métropoles. Sans revisiter ici le lancinant débat sur le tournant manqué de la décentralisation en France, il est crucial de ne pas se méprendre sur le sens de l’autonomie, que des spécialistes comme Christian Lefèvre définissent comme une capacité de mobilisation et d’action collective. Aucune métropole n’est véritablement autonome. C’est d’ailleurs dans ce dernier sens que Saskia Sassen différencie les villes globales (l’ossature des lieux stratégiques majeurs de l’économie globalisée) et les métropoles, qui sont aussi pour elles des centres stratégiques de l’économie globalisée mais non-indispensables (leur écroulement affecterait mais de manière non-irrémédiable l’économie globalisée).
Dans ce prolongement, les travaux du renommé GaWC (Globalization and World Cities Research Network), ont avancé une notions très intéressante d’hinterworld (plutôt que d’hinterland) : moins par son contenu, une métropole ne se définirait quasiment que par ses relations de dépendance (et non d’influence) entretenues avec d’autres métropoles (seuls Paris et Lyon y figurent d’ailleurs). Le classement du GaWC amène à considérer les hinterworlds (dépendances) comme élément moteur de cette autonomie ! L’autonomie ne veut dire ni isolement ni « capacité à tout faire par soi-même », mais bien plutôt capacité à travailler avec d’autres sans être exclusivement dépendant d’une entité supra-territoriale (Union européenne, État), une idée qui rejoint celle du chercheur Ludovic Halbert dans un ouvrage récent où il propose d’aborder les métropoles plus par leur « fonctions d’intermédiation », en particulier dans leur capacité à mettre en rapport des acteurs économiques.
Tout cela rejoint clairement ce que mentionnait un des plus grands spécialistes de géographie urbaine, Edward Soja William, lorsqu’il déclarait que nous ne sommes plus à l’ère des métropoles, mais au « temps des nodalités post-métropolitaines ». Relever ce tournant post-métropolitain, c’est privilégier l’option des attracteurs de métropolisation plutôt que des collecteurs de mondialisation, parier sur les vertus de l’intermédiation plutôt que celles de l’attractivité (ou de la créativité) en ne négligeant pour cela aucun chemin dans les formes de mobilisation collective à construire, nécessairement rassemblées plutôt que dispersées.