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Histoire & Patrimoine
#16
Georges Nitsch.
La carrière d’un architecte provincial
RÉSUMÉ > À côté des grands architectes rennais des 19e et 20e siècles, tels que Jean-Baptiste Martenot et Emmanuel Le Ray, figurent de nombreux autres praticiens qui ont largement contribué à créer, développer et modifier le paysage urbain que nous connaissons aujourd’hui. Georges, Auguste, Joseph Nitsch fait partie de ces derniers. Quelque peu tombé dans l’oubli, il fut pourtant durant un demi-siècle, une personnalité reconnue qui s’est investie pour mettre en valeur sa ville de Rennes.

     Né en 1866 à Rennes, Nitsch, issu d’une modeste famille d’artisans, exerce dans un premier temps le métier de comptable, puis celui de métreur-vérificateur. Cette première approche du monde de la construction le conduit ensuite à la profession d’architecte autour des années 1900, après un passage à l’École des Beaux-Arts et une formation au sein du cabinet Martenot. Ses réalisations concernent principalement l’habitat privé, s’adressant à la fois à une clientèle bourgeoise, mais aussi à une population plus modeste, composée d’ouvriers et de petits commerçants, en demande de logements salubres.
     Mais, Nitsch n’est pas seulement un architecte, il se distingue en tant qu’un ardent défenseur du patrimoine rennais et en tant qu’érudit participant à de nombreuses sociétés culturelles locales.

     Comme beaucoup de ses confrères, Nitsch va répondre aux attentes de la petite et moyenne bourgeoisie rennaise en construisant des hôtels particuliers, des villas et des immeubles. Sa clientèle est composée de notables : vétérinaires, médecins, fonctionnaires et industriels locaux. Nitsch a ainsi l’opportunité de réaliser des habitations luxueuses, notamment dans ce que l’on nomme habituellement le « Triangle d’or », quartier correspondant aux rues s’articulant autour du jardin du Thabor. Les premiers bâtiments connus de l’architecte sont deux hôtels particuliers de 1900, situés boulevard de la Duchesse Anne, commandés par messieurs Corbin et Maxence. Nitsch met ici en place un dispositif d’éléments qu’il répètera dans la majorité de ses édifices. Réservant généralement la coûteuse pierre de taille pour les parties décoratives, il va se porter sur la brique rouge pour l’habillage de ses façades. Un grand nombre de ses constructions, dont douze hôtels particuliers, arborent ce matériau. L’un des exemples les plus représentatifs est l’hôtel Zappone, construit en 1906, situé face à l’église Saint- Aubin-Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle.
     Nitsch tire son répertoire décoratif de la Renaissance française. Il apprécie l’utilisation de lucarnes et des frontons en pierre, contrastant avec la couleur rouge des briques. Ces éléments prédéfinis lui permettent une conception ainsi qu’une réalisation rapide et facile des commandes qui lui sont faites.
     Nitsch ne va pas seulement bâtir pour cette clientèle aisée, il va également s’intéresser de près au logement à destination des ouvriers et des personnes aux revenus plus modestes.

Logements ouvriers et maisons à bon marché

     Nitsch va rapidement se pencher sur la question du logement à destination des plus modestes. Il travaille alors étroitement avec la société d’habitations à bon marché, « Ma Maison », dont il est actionnaire et l’un des administrateurs. En 1912, le conseil d’administration de cette société lui demande d’établir le plan d’une cité-jardin dans le quartier des Mottais. Ce projet, destiné à donner un nouveau souffle à l’aménagement de la ville, ne peut être réalisé faute de subvention et d’un financement suffisant. Cet échec n’empêche pas Nitsch d’édifier de nombreuses maisons individuelles sur ce même terrain, comme dans les nouveaux quartiers en expansion, situés en périphérie du centre-ville. Ses clients se composent d’employés des chemins de fer et d’ouvriers, investissant dans une habitation individuelle.
     Dans un but d’économie, l’architecte adopte pour ces logements modestes un plan type, simple, qu’il module selon les besoins des commanditaires. La maison qu’il réalise au 71 rue d’Inkermann en 1907 illustre bien sa pratique. Cette dernière se compose d’une façade en grès où l’on retrouve la brique rouge, mais cette fois d’une manière plus décorative.
     Toujours dans cette optique et cet intérêt de loger la population, Nitsch participe au premier grand projet de logements sociaux de Rennes avec l’Office public d’habitations à bon marché de la ville, créé le 21 avril 1920. Ce dernier se compose de nombreuses personnalités locales dont Nitsch, l’un des six membres désignés par le préfet. Il est alors prévu de construire tout un ensemble de logements, faubourg de Nantes, sur les plans de Hyacinthe- Marie Perrin (voir Place publique Rennes n°8). Mais, face à une situation financière catastrophique et à un retard énorme dans la construction, le conseil d’administration de l’office démissionne en novembre 1927. Le projet sera mené à terme plus tard, en 1933, mais cette fois sur des plans d’Emmanuel Le Ray avec la construction de la cité-jardin du « Foyer rennais » (située près du pont de Nantes, rue de la Paix et environs).

     À côté de sa carrière d’architecte, Georges Nitsch s’est largement investi dans de multiples sociétés artistiques et culturelles rennaises. Une des ses premières passions est la photographie. Épris de cette technique et expression artistique, il prend part de manière active à la Société Photographique de Rennes dont il est d’abord secrétairegénéral, puis président pendant de longues années. Il aime à photographier les paysages lorsqu’il voyage ainsi que des bâtiments, dont ceux qu’il édifie.
     Nitsch est également féru de patrimoine local. Membre, puis vice-président, de la société archéologique d’Ille-et-Vilaine, il contribue à promouvoir le patrimoine architectural de Rennes. Il donne en effet de nombreuses conférences, notamment au sein de la société d’Instruction populaire, qui rencontrent à chaque intervention un vif succès. Il va par ailleurs écrire plusieurs ouvrages portant sur des bâtiments phares de la ville.
     En parallèle, il participe à de nombreuses autres organisations, comme la commission départementale d’Aménagement et d’extension des villes et villages ou encore la commission départementale des sites et monuments naturels dans les années 1930. Il est également président du syndicat des architectes d’Ille-et-Vilaine en 1936, membre du syndicat d’initiative, président de Radio-Rennes, membre du comité régional des Arts appliqués pour la section Ille-et-Vilaine, dont il est secrétaire-trésorier sous la présidence de Le Ray. Il est aussi l’un des fondateurs de l’École de préapprentissage dont il prend la présidence en 1930, succédant ainsi à Le Ray.

     Georges Nitsch est un bon exemple de ces architectes modestes qui ont su s’adapter aux désirs d’une petite bourgeoisie en demande de reconnaissance. Son intérêt pour les habitations à bon marché démontre également sa capacité d’adaptation à l’évolution sociale de l’époque. Personnalité dont ses contemporains ont toujours mis en avant la modestie et les qualités diplomates, il a su s’imposer à son époque par son travail d’architecte mais aussi par ses multiples activités culturelles et sa passion pour faire partager son intérêt pour le patrimoine. Lors de ses obsèques en 1941, toutes les personnalités locales de l’époque se sont déplacées afin de lui rendre hommage .