<
>
Contributions
#02
La double identité de la Loire-Atlantique
RÉSUMÉ > Au-delà des débats sur la valeur des chiffres auscultant l’opinion et sa motivation à voir la Loire-Atlantique rattachée ou non à la Bretagne, on peut décrypter plus finement ces positions. Qui sont les défenseurs du rattachement, qui sont les opposants? En Loire- Atlantique, la relation à la Bretagne ne doit-elle s’analyser qu’au travers de cette seule question polémique? Pour répondre à ces questions sont analysées les quatre enquêtes conduites par TMO Régions entre 1999 et 2009, analysant les opinions des habitants de Loire-Atlantique.

     Envisager le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne, c’est avant tout entretenir une relation étroite, une proximité affective avec la Bretagne, voire un sentiment d’appartenance. Dans une première approche, on peut considérer que ces questions reposent tout d’abord sur le lieu de naissance. Lors de l’enquête conduite en 1999, 64 % des habitants de Loire-Atlantique y étaient nés, 7 % déclaraient être nés en Bretagne alors que 10 % étaient nés dans un département ligérien autre que la Loire-Atlantique. 8 % des personnes habitant à cette date en Loire-Atlantique avaient vécu préalablement au moins cinq ans en Bretagne. Plus globalement, 44 % des habitants déclaraient soit avoir de la famille en Bretagne, soit y être né, soit encore y avoir vécu au moins cinq ans.

     À la différence des Pays de la Loire créés en 1955, la région Bretagne bénéficie d’une identité forte, à l’intérieur ou à l’extérieur de ses frontières. En 2006, les Bretons se déclaraient, pour 64 % d’entre eux, très attachés à leur région, les Ligériens ne l’étant qu’à 34 % (37 % en Loire-Atlantique et 32 % au sein des autres départements des Pays de la Loire). Parmi toutes les mesures de ce type conduites par TMO Régions sur six régions administratives différentes, la Bretagne obtient les meilleurs scores d’attachement auprès de ses habitants (à un niveau similaire à l’Alsace), les Pays de la Loire parmi les moins bons (ne devançant que de quelques points la région Ile-de-France).
     Autre signe du lien relativement ténu qu’entretiennent les Ligériens à leur région, 43% des habitants de Loire-Atlantique ne pouvaient donner, en 1999, le nom de leur région administrative. En 2004, 67 % des Ligériens ne pouvaient donner la liste exacte des départements formant leur région, ce taux de méconnaissance ne s’établissant qu’à 34% en Bretagne et 44% en Basse-Normandie. La constitution de l’identité régionale en Pays de la Loire étant logiquement en retrait par rapport à celle observée en Bretagne, on notait en 1999 que les habitants de Loire-Atlantique se sentaient d’abord appartenir à leur département, pour 41 % des personnes interrogées. Ce sentiment était plus répandu que celui d’une appartenance à la région des Pays de la Loire (34%), lui-même devançant le sentiment d’appartenance à la Bretagne (24%). Sur une zone à identité régionale morcelée, l’échelon départemental constitue souvent le point de réappropriation du territoire.
     En 2003, la question de l’attachement territorial des habitants de Loire-Atlantique avait été envisagée plus globalement, intégrant l’échelon communal, mais aussi les échelons national, européen et au-delà. Parmi six suggestions, les sondés devaient indiquer à quel territoire ils se sentaient le plus attachés, en premier, en deuxième puis en troisième. L’échelon territorial indiqué en première position montre indubitablement un lien fort entre les sondés et ce territoire. En Loire-Atlantique, la citoyenneté française ne devance qu’à peine la « citoyenneté » des Pays de la Loire (29% contre 21 %), la « citoyenneté » bretonne recueillant 16 % des premières réponses. Précisons que la même question, posée en Bretagne, avait recueilli une proportion identique pour la citoyenneté française ainsi qu’une proportion de 28 % pour la citoyenneté bretonne. Les réponses de niveau régional avaient donc été plus nombreuses en Loire-Atlantique (37%) qu’en Bretagne (28 %).
     L’identité régionale des habitants de Loire-Atlantique semble pour le moins diffuse. 45 % des habitants de Loire- Atlantique avaient cité la Bretagne parmi leurs trois réponses possibles, 62 % ayant cité les Pays de la Loire. Quels que soient les critères analysés auprès des habitants de Loire-Atlantique, la région des Pays de la Loire l’emporte devant la Bretagne, mais souvent de seulement quelques points. Cette situation doit interroger à la fois les militants pro-rattachement, mais également les représentants des Pays de la Loire. Pour les premiers, l’appartenance aux Pays de la Loire existe bel et bien, elle ne peut être niée. Pour les seconds, comment gérer cette dualité d’appartenance, comment représenter des habitants se sentant aussi appartenir à la région voisine?
     La situation est d’autant plus complexe que la Bretagne bénéficie d’un capital de sympathie très important. En 1999, 82 % des habitants de Loire-Atlantique se sentaient proches de la Bretagne (32 % très proches, 50 % assez proches). Cette proximité est forte au point que les personnes qui sont par ailleurs hostiles au rattachement sont cependant 57% à se déclarer proches de la Bretagne. On peut même parler de porosité, de continuité entre les deux territoires puisque 56 % des habitants nés en Loire- Atlantique ont le sentiment d’être bretons. Les natifs des autres départements ligériens sont également 20% à se sentir bretons, les natifs des autres régions françaises (et d’ailleurs) sont eux aussi 33 % à se sentir bretons.
     Plus troublant, en posant la question du sentiment d’être breton ou français aux habitants de Loire-Atlantique (2003), tout en omettant sciemment les Pays de la Loire, 44 % des personnes répondent qu’elles se sentent à la fois bretonnes et françaises. Elles ne sont que 24 % à déclarer qu’elles sont françaises et non pas bretonnes.
     En Loire-Atlantique, l’identité bretonne est largement acceptée, elle se superpose à une identité ligérienne moins formalisée mais numériquement plus présente. Pour autant, la proximité à la Bretagne ne présume totalement pas de la question du rattachement. Être breton en Loire-Atlantique est sans doute pour certains une qualité plus qu’une réelle identité.

     Tous les points de vue analysant la relation entre les habitants de Loire-Atlantique et la Bretagne indiquent bien entendu que plus la proximité « familiale, amicale, affective » à la Bretagne est établie, plus l’intérêt pour le rattachement est important. Du point de vue statistique, c’est évidemment sur ces questions que l’on observe les corrélations les plus fortes. Celles-ci ne sont cependant pas parfaites.
     Ces résultats pourraient paraître peu cohérents pour qui ignorerait l’ambivalence régionale précédemment décrite. La dualité d’appartenance éclaire en fait ces opinions : 46 % des personnes plaçant la Bretagne parmi leurs trois territoires d’attachement sont en fait soit opposées, soit indifférentes au rattachement (elles sont même 51 % parmi les personnes n’ayant cité que la Bretagne). Par contre, 24 % des personnes n’ayant pas mentionné la Bretagne parmi leurs trois territoires d’attachement sont néanmoins favorables au rattachement. Pour ces dernières, on doit sans doute y voir, pour partie, une vision opportuniste. Dans le même esprit, parmi le quart des habitants de Loire-Atlantique se sentant « français mais pas bretons », 17 % seraient favorables au rattachement dans les vingt ans à venir.
     L’opinion en faveur du rattachement, en Loire-Atlantique, est plus présente chez les personnes de 60 ans et plus (9 points de plus que la moyenne en 1999), elle est sensiblement en retrait chez les 18-29 ans (-14 points). Des écarts globalement cohérents avec ces résultats avaient également été observés en 2003. L’âge est en fait la seconde dimension explicative du souhait de rattachement. Se pose alors la question de l’évolution de l’opinion. Les personnes de 18-29 ans en 1999 ont-elles conservé leur position en 2009 alors qu’elles ont de 28 à 39 ans ? Ont-elles au contraire, pour une partie d’entreelles, changé d’avis pour revenir à une proportion conforme à la moyenne générale? Dans la première hypothèse, il y aurait à terme un essoufflement du souhait de rattachement. Dans la seconde, il y aurait une stabilité de l’opinion. On ne dispose hélas pas d’échantillon suffisamment important pour conduire cette analyse en 2009 en Loire-Atlantique. L’analyse des différentes enquêtes laisse cependant entrevoir une légère érosion du sentiment pro-rattachement, les deux mécanismes précédemment décrits étant probablement à l’oeuvre.
     On doit également noter que l’opinion pro-rattachement est plus répandue au sein des CSP + (catégories socio-professionnelles supérieures): +18 points pour les cadres et +4 points pour les professions intermédiaires. L’analyse par niveau de diplôme est plus complexe, celleci étant très directement influencée par l’âge des personnes interrogées (les moins de 30 ans sont plus diplômés que les plus de 60 ans). Ainsi, le fait d’observer que les personnes diplômées de l’enseignement supérieur sont légèrement plus favorables au rattachement que le moyenne (+1 point) indique sans doute un véritable impact de ces niveaux supérieurs quand on corrige de l’effet d’âge. Le sentiment pro-rattachement est ainsi plus fréquent au sein des catégories supérieures.
     L’enquête conduite par TMO Régions en 2003 indiquait que la sympathie partisane n’avait pas de forte influence sur le sentiment pro-rattachement des habitants de Loire-Atlantique. Néanmoins, les sympathisants de gauche s’avéraient un peu plus sensibles à cette évolution (+3 points par rapport à la moyenne), les sympathisants de droite un peu moins sensibles (-5 points), les personnes sans proximité politique un peu moins sensibles également (-3 points).
     En 2009, dans un contexte politique sensiblement différent comme le souligne Jérôme Fourquet de l’Ifop, les électeurs de gauche perçoivent le projet de redécoupage des régions comme une stratégie visant à affaiblir les exécutifs régionaux et départementaux, principalement détenus par la gauche. À l’échelle cumulée des deux régions, les sympathisants de gauche souhaitent moins souvent le rattachement, -3 points par rapport aux sympathisants de droite. Du point de vue des électeurs, la question du rattachement semble à la fois moins influencée par les obédiences politiques que par des caractéristiques individuelles mais également liées à une actualité politique nationale mouvante.

7 habitants sur 10 favorables à un référendum

     La faisabilité technique d’un projet de rattachement pose néanmoins question dans l’opinion. Qu’ils soient pour ou contre le rattachement, seuls 15 % des habitants de Loire-Atlantique pensaient en 2006 que le rattachement était « tout à fait réalisable », la majorité des réponses se portant sur une vision plus nuancée « plutôt réalisable » (56 %). Les habitants ne doutent pas qu’un tel rattachement soit techniquement possible (ils ne sont que 14 % à en douter), mais les difficultés objectives semblent ne pas échapper aux sept personnes sur dix estimant que le rapprochement est possible (71 %). Les habitants de Loire-Atlantique sont cependant plus nombreux à penser que le rattachement est réalisable que les Bretons (59 %) et que les habitants des quatre autres départements ligériens (47 %). Dans tous les cas, la moitié ou plus des personnes interrogées estime que le rattachement est possible.
     Pour arriver à ce rapprochement, 90 % des pro-rattachement étaient, en 1999, favorables à un référendum, 72 % pour les indécis et seulement 43 % pour les opposants. Ainsi, sur l’ensemble de la population, 70 % des personnes interrogées voyaient positivement l’organisation d’un tel référendum (39 % tout à fait favorables, 31 % plutôt favorables).
     L’indépendance de la Bretagne et la fusion entre les Pays de la Loire et la Bretagne ont également fait l’objet d’interrogations. Ces solutions « alternatives » au rattachement demeurent minoritaires. En 2003, en Loire-Atlantique, 4 % des habitants étaient favorables à l’indépendance bretonne. Ils étaient 5 % des Bretons à y être également favorables. La fusion des régions, testée par l’Ifop en 2009, ne recueillait que 14 % des opinions en Loire-Atlantique ainsi qu’en Bretagne, 10 % au sein des quatre autres départements ligériens.
     Une question demeure: quelle est la sensibilité réelle des opinions à ces questions? Les débats sont véhéments dans les hémicycles et sur les blogs, ils font écrire dans la presse, mais le statut de la Loire-Atlantique est-il vraiment une question d’importance dans la vie des Bretons et des Ligériens ? Cet angle d’analyse n’a jamais été envisagé dans les enquêtes.