Le crématorium de Rennes Métropole est le neuvième établissement en service en Bretagne et le second en Illeet- Vilaine, après celui de Montfort-sur-Meu. L’équipement est prévu pour assurer mille crémations par an.
C’est l’agence Plan 01 qui a remporté le concours de maîtrise d’oeuvre lancé par Rennes Métropole; dix architectes se sont groupés pour envisager cette construction « comme un sujet de société » sans se limiter à ses aspects techniques et fonctionnels.
Dans Le Moniteur daté du 23 juin 2009, Ignacio Prego, architecte, membre du collectif, explique que « le nouvel équipement se veut avant tout un lieu de sérénité, de recueillement, entendant concilier laïcité et émotion et créer les conditions d’un accueil digne et spirituel ». Sur le site, comme dans le bâtiment, la référence au quotidien, à l’angle droit disparait au profit du leitmotiv du cercle. La symbolique emprunte aux rites cultuels celtiques. Les salles ont été pensées pour le recueillement collectif et des patios jardins favorisent le sentiment d’ouverture et de liberté pour chacun.
Le quotidien Libération, dans son numéro du jeudi 20 août 2009 consacre à l’équipement une de ses pages culture; le journal titre: « Rennes incinère high tech: la capitale bretonne a inauguré en juillet un nouveau crématorium. Ni mausolée ni crypte, un édifice zen ».
Le territoire rennais dispose aujourd’hui d’un outil de qualité, d’un lieu dédié, pour aider à vivre un des moments les plus redoutés de l’existence, quelque soient les convictions personnelles de chacun.
Tradition immémoriale en Inde et en Asie, toujours vivante chez les bouddhistes, interdite chez les musulmans, la crémation s’inscrit pour notre pays dans le combat des grandes lois sur les libertés publiques qui marquent le début du 20e siècle. « La crémation, explique Daniel Pennequin, président de l’association crématiste d’Ille-et-Vilaine, a été d’abord défendue par des libres-penseurs, avec une connotation anticléricale ».
L’église protestante avait autorisé la crémation en 1889 mais les catholiques durent attendre un décret de 1963, pendant le concile Vatican 2, avant d’y recourir, l’église catholique craignant une atteinte à la symbolique de la résurrection des corps. Aujourd’hui, même si Rome exige que la cérémonie religieuse ait lieu en présence du corps physique et donc avant la crémation, celle-ci n’est plus une pratique marginale mais une pratique dépassionnée qui ne cesse de se développer comme une véritable alternative à l’inhumation. « La Bretagne, terre catholique, ajoute Daniel Pennequin, a résisté plus longtemps mais a rejoint aujourd’hui la moyenne nationale. »
La législation est longtemps restée muette sur les conditions de la crémation (la loi du 20 décembre 2008, a cependant formalisé notamment l’interdiction de conserver les cendres au domicile). Des initiatives ont été prises au niveau local et, depuis plusieurs années, la ville de Rennes s’est préoccupée de répondre à ce besoin de lieux, de rites pour les personnes qui choisissaient la crémation sans passage à l’église ou l’enterrement civil. Une salle omniculte permettant le recueillement collectif a été construite au cimetière de l’est en 2001; un columbarium, destiné à accueillir les urnes funéraires, a été aménagé dès 1993, et un jardin du souvenir a été réservé à la dispersion des cendres.
La conception architecturale du crématorium rennais et sa charte de fonctionnement s’inscrivent dans la volonté d’offrir autour de la crémation un service de même qualité et de même valeur que celui de l’inhumation. Marc Huguet, responsable de la société OGF, société qui s’est vue confier la délégation de service public pour l’exploitation et la gestion du crématorium, indique : « Des rituels ont peu à peu été bâtis; nous proposons des cérémonies-types que les familles peuvent adapter et personnaliser avec textes, passages musicaux, gestes symboliques, adieu… ». Un comité d’éthique du crématorium, composé des représentants des différents cultes et des associations qualifiées, a été mis en place pour être force de proposition, de suggestion, de médiation.
Des approches très critiques s’expriment sur la réalité funéraire d’aujourd’hui. Dans le numéro du mensuel Le Rennais daté d’octobre 2005, Mme Laurence Hardy, sociologue-anthropologue rennaise, regrette qu’on n’ait plus de temps pour la mort : « Dans un monde où l’une des valeurs principales est la vitesse, le dernier hommage n’y échappe pas… On recommence à travailler dès le lendemain et on va voir un psy ». Plusieurs auteurs mettent en cause la montée de l’individualisme. Des philosophes dénoncent le fait que notre société cherche à oublier et à nier le vieillissement et la mort; dans une tribune du journal Le Monde parue le jour de la Toussaint 2008, le philosophe Robert Redecker s’insurge: « En s’appuyant sur les promesses des cellules souches, sur la régénération, sur la cryogénie et sur les transplantations d’organes, certains envisagent même la mort de la mort ».
Une certaine nostalgie s’exprime également, avec le regret du temps où tout le village, particulièrement en Bretagne, se retrouvait réuni pendant plusieurs jours autour de la famille du défunt. Dans Le cheval d’orgueil, Pierre- Jakez Hélias décrit dans un long développement ces rites aujourd’hui disparus, ces visites au domicile du défunt avec l’organisation de la « chapelle blanche », ces enterrements où chacun s’employait également à vérifier qui du village était absent. « Dans la maison du moribond, tout est prêt, la famille présente, les voisins qui s’approchent pour la cérémonie, le chapelet à la main. Et dès lors, tout le pays est en alerte. Chacun vaque à ses occupations en attendant la mort de cet homme ou de cette femme dont on ne saurait se désintéresser puisque c’est un membre de la paroisse qui est en train de dire adieu… Dans la chambre du mort, on a déjà arrêté l’horloge, voilé les miroirs quand il y en a. Sur le banc du lit ou la table de nuit, un rameau bénit trempe dans l’eau bénite d’une assiette blanche. Le mort peut recevoir honorablement. Il est soigneusement revêtu de ses meilleurs habits, du haut en bas, chaussures comprises… Pour nous, la mort est une fête funèbre à l’occasion du départ de quelqu’un vers un autre monde de plain-pied avec celui-ci. »
Nous proposons de retenir surtout que dans ce domaine, comme d’ailleurs dans plusieurs réalités sociales d’aujourd’hui, notre société expérimente et élabore progressivement de nouvelles normes. Même si Georges Brassens chante joliment « Mais où sont les funérailles d’antan? », la préoccupation est forte de ne pas se référer uniquement au passé mais de répondre à nos attentes actuelles, nous qui sommes majoritairement des citadins, dont les familles sont souvent très dispersées et qui vivons le décès de nos proches la plupart du temps à l’hôpital ou en maison de retraite.
Le refus général d’obsèques expéditives est indéniable et il est de plus en plus fréquent que la préparation des obsèques, religieuses ou non, se fasse avec la famille et les amis du défunt. À l’église, c’est souvent une équipe de laïcs qui construit un cérémonial personnalisé avec ou sans messe et de plus en plus de participants aux enterrements civils expriment le besoin d’une certaine solennité des rites : « On ne peut pas laisser quelqu’un partir comme cela; c’est trop triste ». Le rite social comme expression publique de la solidarité est très largement recherché.
En même temps, il y a recherche de la personnalisation de la cérémonie et volonté de célébrer la vie du disparu autant que sa mort. Aussi bien au cimetière qu’à l’église ou au crématorium, ce qui apparait vrai, authentique est apprécié, au delà des formules incantatoires. Ceux qui construisent ces cérémonials tiennent à relier étroitement les deux aspects, individuel et collectif.
Ajoutons que s’est affirmé le droit de tous au même respect au moment de la mort. On peut citer la décision du concile Vatican 2 en 1965 de supprimer les classes pour les enterrements comme pour les mariages. Jusque là, selon les classes, 1re, 2e ou 3e, on avait droit à plus ou moins de tentures, mais aussi à plus ou moins de chanteurs, à plus ou moins de prêtres. A Rennes également, le collectif Dignité cimetière a négocié avec la municipalité les moyens pour que soient garantis aux « gens de la rue » des obsèques et une sépulture dignes.
La même sensibilité s’exprime avec le développement des initiatives de création d’« unités de soins palliatifs » pour l’accompagnement des personnes en fin de vie ou l’organisation de « groupes de parole » à destination des personnes endeuillées; il apparaît de plus en plus nécessaire de ne pas « escamoter » le temps de la mort.
Nicolas Duault, papa de deux jeunes enfants, est décédé subitement le 11 juin 2009 à Iffendic (Ille-et-Vilaine) ; Valérie, sa compagne, et sa famille ont voulu lui préparer « un hommage d’adieu à son image d’homme simple et aimant la nature ». Les obsèques ont eu lieu le 15 juin dans une salle lumineuse de la base de plein air de Trémelin. « Il n’a pas été envisagé de cérémonie religieuse. Cela ne correspondait pas aux options de Nicolas. La crémation s’est imposée d’emblée ». L’hommage, qui a duré une heure, a consisté essentiellement en une écoute de témoignages de membres de la famille, amis et collègues de travail. « Nous avons demandé à un ami de la famille d’assurer la présentation et l’ordonnancement de la cérémonie et nous avons souhaité exprimer un message d’espérance adressé à chacun en fonction de sa sensibilité et de ses convictions ». Un goûter, préparé par les amis de Nicolas et Valérie, a réuni tous les présents après la crémation.
Ce témoignage fort de recherche d’authenticité à un moment qui bouleverse la vie personnelle et familiale correspond à la sensibilité profonde de beaucoup de nos contemporains; il semble d’ailleurs rejoindre tout à fait le projet des architectes du crématorium de Vern-sur-Seiche quand ils disent avoir voulu un lieu permettant « de concilier laïcité et émotion, créant les conditions d’un accueil digne et spirituel. »
Le cadre de cet article ne nous permet pas de traiter au fond le rôle très complexe de la religion au moment de la mort. Nous pouvons seulement indiquer que cette recherche généralisée de sens nous paraît bien illustrer un des enjeux d’aujourd’hui dans le rapport de la culture et de la religion. Dans son ouvrage La Sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture (Seuil, 2008) le philosophe et sociologue Olivier Roy décrit de manière très documentée le risque d’une religion « du tout ou rien », identitaire, communautariste, prosélyte, se situant dans le hors champ de la culture considérée d’emblée comme païenne. À l’inverse, d’autres acteurs, aussi bien chrétiens que non chrétiens, pensent que « les religions et notamment l’évangile peuvent encore aujourd’hui être une source d’inspiration pour des valeurs qui imprègnent notre culture sans que cela requière nécessairement de partager la foi » (P. Laurent Le Boulc’h, Bulletin du diocèse Saint-Brieuc et Tréguier, avril 2009). Cette position chrétienne d’ouverture rejoint d’ailleurs l’attente de nombre de personnes se vivant comme incroyantes et profondément laïques mais ne se satisfaisant plus d’être renvoyées à la seule réponse selon laquelle « les questions métaphysiques regardent chacun individuellement ».
Nombre de nos contemporains cherchent à penser et à traduire dans les actes une liaison et une confrontation actualisées de la culture et de la religion, participant ainsi à la construction tâtonnante et pragmatique d’une anthropologie et d’un humanisme pour aujourd’hui. C’est une recherche au niveau individuel comme on le voit pour le choix des rites funéraires mais elle existe également au plan collectif et on voit s’établir de vrais lieux d’échanges et de dialogue tels que les comités d’éthique. Les positions idéologiques peuvent rester différentes ou opposées sur des questions éthiques aussi difficiles que celle de l’euthanasie, mais chacun accepte par le dialogue de reconnaitre qu’il n’est pas seul à détenir la vérité.