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Dossier
#32
« La poule Coucou fait partie du patrimoine »
RÉSUMÉ > L’Écomusée du Pays de Rennes est à l’origine du sauvetage de la poule Coucou, il y a 25 ans. Son conservateur en chef, Jean-Luc Maillard, fait partie des pionniers qui ont cru en l’avenir de cette race locale oubliée, saluée par les gastronomes pour la saveur de sa chair. Il livre ici les recettes de la reconquête. Retour sur cette aventure qui a mobilisé de nombreux passionnés.

PLACE PUBLIQUE : Vous avez participé personnellement au sauvetage de la poule Coucou de Rennes, qui, en vingt-cinq ans, est devenue la mascotte de l’Écomusée.
JEAN-LUC MAILLARD :
C’est vrai que la Coucou est un peu aujourd’hui la star des races locales ! Elle est vraiment chez elle à l’Écomusée du Pays de Rennes, dans cette ancienne ferme de la Bintinais. Mais au-delà de l’image sympathique véhiculée par cette poule rustique, il y a un vrai sujet qui touche au patrimoine. Vous savez, tout le monde a tendance à revisiter la tradition, la gastronomie, les produits des terroirs, en oubliant parfois de faire le lien avec le passé. C’est difficile de lutter contre des lobbies qui ont des moyens de communication bien plus fort que les nôtres et qui réécrivent parfois un peu rapidement l’histoire.

C’est la raison qui vous a poussé à éditer un livre consacré à la Coucou de Rennes, qui fête ses cent ans en 2014 ?
Exactement ! Ici à l’Écomusée, nous sommes légitimes pour en parler. Mais ce qui me gêne parfois, c’est qu’un certain nombre de restaurateurs qui ont un carnet d’adresses, qui sont de très bons conteurs, revisitent l’histoire, en oubliant un peu qu’avant eux, il y existait déjà des choses intéressantes ! Face aux éleveurs qui ont parfois tendance à réinventer la poule, et face à la grande distribution qui s’intéresse fortement aux produits du terroir à forte valeur ajoutée, non sans arrière-pensées commerciales, il nous a semblé important de raconter l’histoire réelle. L’ouvrage sur la Coucou de Rennes qui sera publié en janvier 2015 aux Presses Universitaires de Rennes, a été rédigé par l’écrivain François de Beaulieu. Il ne s’agissait pas de rédiger un testament, mais de livrer une histoire rigoureuse, avec un auteur extérieur qui porte un regard distancié sur le sujet. François de Beaulieu est quelqu’un d’engagé, au carrefour des sciences de la vie et des sciences humaines. Il est allé à la rencontre de tous les témoins de cette aventure, avec un souci d’objectivité et un regard d’homme de patrimoine…

Elle remonte à loin, cette aventure ?
Oui, et cette initiative nous a permis de nous replonger dans l’histoire. Nous partons du 19e siècle, avec l’essor des sociétés savantes d’agronomie et d’agriculture, à l’origine de la sélection des produits et des animaux. Le créateur de la Coucou de Rennes, le docteur Edmond Ramé, était très représentatif de cette époque. La poule Coucou est née dans ce contexte français de notables, mus par une réelle curiosité scientifique. Le Dr Ramé est un propriétaire terrien, il possède plusieurs fermes dans la campagne rennaise. Il a ses entrées au Ministère de l’agriculture, ce qui va lui permettre d’obtenir l’officialisation de la race de la Coucou de Rennes, en 1914. Cette poule grise a déjà une bonne réputation locale. Elle va demeurer très populaire sur les marchés jusque dans les années cinquante. Mais comme toutes les races françaises, elle sera évincée par les races américaines et les croisements, qui visent à obtenir un standard de poulets de chair ou de poules pondeuses, au choix, et non plus des races fermières « mixtes ».

Comment retrouvez-vous sa trace ?
À l’Écomusée, on la retrouve en 1988, à l’issue d’une longue et difficile enquête pour identifier les derniers éleveurs. Nous avions lancé des appels dans la presse, mais beaucoup avaient déjà disparu. L’un d’entre eux, installé du côté d’Angers, s’est tout de même manifesté. Il s’agissait d’un ancien maraîcher rennais de Maurepas, qui avait été exproprié lors de l’urbanisation du quartier dans les années soixante, et qui s’était installé au Louroux- Béconnais. Aviculteur amateur, il avait emmené quelques coucous de Rennes, en souvenir de ce terroir. À la lecture de notre appel, il nous contacte pour nous donner quelques sujets. Et surtout, il nous indique des noms de personnes qui lui avaient acheté des poules. Grâce à lui, nous retrouvons quatre ou cinq éleveurs, et nous décidons de créer une association d’éleveurs amateurs, pour multiplier les élevages et assurer ainsi la conservation génétique sans risque de consanguinité.

C’est une décision très importante pour la suite de l’aventure…
Tout à fait. Une décennie plus tard, en 1997, l’éleveur de volailles Paul Renault, bien connu des Rennais avec son étal aux Halles centrales et son stand au marché des Lices, vient nous rejoindre. Il a déjà l’idée de créer une microfilière, dont il deviendra ensuite président. En 1994, était paru un ouvrage important sur le patrimoine culinaire de Bretagne1, dans lequel nous avions réussi in extremis à publier une notice sur la Coucou de Rennes. L’ouvrage est remarqué par la Chambre d’Agriculture d’Ille-et-Vilaine, qui nous contacte. Ses responsables sont surpris de notre détermination à vouloir sauver cette race locale oubliée. Paul Renault rédige alors un cahier des charges de l’élevage. La chambre d’Agriculture n’y croit pas vraiment, elle ne voit dans la Coucou qu’un poulet de luxe, donc cher. Paul tient bon, et la Chambre finit par se rallier à la cause.

À ce moment-là, l’écomusée suit toujours le dossier ?
Plus que jamais ! Nous apparaissons en effet comme le garant patrimonial et scientifique de la démarche, car nous sommes adossés à une importante collectivité. Les éleveurs amateurs sont toujours à nos côtés, au sein de leur association. Ce sont eux qui conservent la souche de la poule Coucou, par sécurité. La Chambre d’agriculture, quant à elle, a pleinement joué le jeu, en montant le dossier du cahier des charges et celui des financements, toujours complexes.

Vous évoquiez à l’instant l’idée d’une microfilière. De quoi s’agit-il ?
La microfilière, c’est 20 producteurs, qui vendent sur le marché un peu moins de 25 000 Coucous par an ! On recense autour de 400 sujets chez les éleveurs amateurs. C’est un poulet qui s’élève en 150 jours, contre 40 pour un poulet label. Clairement, nous défendons une déontologie, nous refusons que cette race soit galvaudée par des pratiques commerciales non contrôlées.

Mais qu’a-t-elle de si particulier, cette Coucou ?
Tous ceux qui l’ont goûté apprécient sa saveur particulière. Il faut saluer, à ce propos, l’appui déterminant que nous avons reçu de la part des chefs, et notamment de Marc Tizon et Olivier Roellinger. C’est dans le restaurant de Marc Tizon, le Palais, que nous réaliserons la première dégustation à l’aveugle de la Coucou, avec des critiques gastronomiques, des élus rennais… Paul Renault avait apporté du poulet label et de la Coucou, tous deux préparés par Marc Tizon. Eh bien ! Personne ne s’est trompé ! Les spécialistes ont souligné la texture de chair particulière de la Coucou, avec son petit goût de noisette. En s’intéressant à cette race locale, un grand chef reconnu a ainsi confirmé l’intérêt gastronomique d’une volaille traditionnelle. Ce fut le déclic qui a permis de franchir un cap. Tous les spécialistes de la conservation des races de volaille ont souligné que ce qui fait le critère de réussite de la Coucou, c’est la réunion de l’écomusée, des éleveurs conscientisés – au sens noble du terme –, de la chambre d’agriculture qui a mis à disposition des professionnels ouverts, et des restaurateurs qui vont promouvoir le produit. Nous ne l’avons pas décrété, nous avons eu de la chance ! La juste intuition, ce fut de dire que les amateurs allaient conserver la souche et que les producteurs sauraient la valoriser. Cela a pris dix ans. Ce qui peut paraître long, mais c’est sans doute un délai indispensable.

Sauvée, la Coucou est devenue très médiatique !
C’est vrai, elle a un nom plutôt drôle, associé à une ville, elle bénéficie du soutien de grands chefs étoilés… Il y a eu des vecteurs de sympathie, et des appuis politiques. L’ancien maire de Rennes Edmond Hervé connaissait bien Paul Renault, il appréciait son côté « paysan militant ». Il a suivi ce dossier de près, apportant même des conseils et des appuis juridiques au lancement de la démarche. Attention, je ne dis pas que nous sommes un modèle ! Mais par rapport aux autres grands « fermiers » Français, nous avons suivi, je crois, la bonne démarche, dans la durée.

Que cette Coucou soit rennaise, c’est important pour le territoire ?
Oui, je crois que c’est important qu’une ville comme Rennes, qui a des origines rurales mais qui se positionne comme une métropole résolument tertiaire, réaffirme son rapport de solidarité et d’équilibre entre les territoires. La ville et la campagne peuvent se compléter.

Cela dit, il n’y a pas que la Coucou à l’Écomusée. Vous conservez d’autres éléments du patrimoine gastronomique local.
Oui, et je parlerai à cet égard d’objets de mémoire vive. Prenez la pomme : il y a un intérêt très fort, lié à une mémoire collective très vive pour ce fruit emblématique de nos campagnes, à travers le cidre, le verger… Vous savez, les produits créent le paysage ! Il y a une forme d’attachement à un certain paysage et aux produits qui sont associés. Ici, à la ferme de la Bintinais, la première production était, et de loin, le cidre, bien davantage que le lait. Après la guerre de 1914, l’Allemagne était déficitaire en pommes à jus, les terroirs à pommes ont été sollicités pour produire et exporter des pommes douces et sucrées pour ce marché. Les agriculteurs rennais bénéficiaient de ces commandes : au bout de 50 ans de pratiques culturales, le goût du pommage a été modifié, et c’est sans doute ce qui explique que le cidre rennais soit plus sucré et fruité que ses homologues finistériens ou normands, par exemple.

On ne peut pas terminer cet échange sans évoquer la figure de Simone Morand, qui a beaucoup oeuvré pour la reconnaissance de la gastronomie bretonne2…
C’était une grande narratrice, une vraie conteuse ! Elle avait une telle capacité de séduction qu’elle a attiré l’attention sur la cuisine bretonne. Elle a sans doute un peu folklorisé la chose, mais elle a aussi exhumé des éléments intéressants du « vieux fonds ancien », dans les campagnes. Il y a des curiosités, comme la casse rennaise, un plat de viande très riche, très gras, servi dans un plat en terre, avec de la fraise de veau, de la couenne, du pâté, du carré de porc ! Dans un souci de conservation et de transmission, nous avions filmé Simone Morand, en train de raconter ces recettes du pays Gallo, réalisées par Bertrand Denis. Ces films sont accessibles à l’Écomusée, et font aujourd’hui partie du patrimoine local.