PLACE PUBLIQUE > Quelle est la genèse de cet appel « pour l’équilibre de la Bretagne »?
JEAN OLLIVRO > Daniel Cueff, le maire de Langouët, m’avait invité à faire une conférence à la communauté de communes du Val d’Ille dont il est président. J’avais essayé de décrire le problème de l’exclusion sociale dans la deuxième couronne qui est un phénomène important de cette réalité métropolitaine. J’ai proposé un texte, puis nous avons travaillé ensemble.
PLACE PUBLIQUE > Pourquoi avoir choisi la forme, disons militante, de la pétition?
JEAN OLLIVRO > Plus qu’une pétition, c’est un appel. J’avais déjà écrit sur cette question, mais dans des revues spécialisées. L’idée était de lancer un vrai débat à l’échelle de la Bretagne. Les médias dominants nous serinent tellement que l’avenir n’est que métropolitain. Or il s’agit là d’une vision très franco-française.
PLACE PUBLIQUE > Pour quelles raisons êtes-vous contre le développement des grandes villes?
JEAN OLLIVRO > Deux raisons. La première part d’un constat scientifique: l’exclusion sociale en lointaine couronne. Le niveau de revenu moyen par commune varie de un à quatre selon que l’on est dans la périphérie immédiate ou que l’on s’éloigne à 20-25 km. Aujourd’hui, la population qui croît dans le périurbain est celle des gens obligés de s’éloigner à cause du prix du foncier et qui s’appauvrissent du fait du renchérissement du prix de l’essence. La seconde raison est qu’il y a tout un courant dans la recherche européenne pour affirmer que l’avenir, que le territoire durable, ce ne sont pas les grandes métropoles dilatées, mais les villes petites et moyennes. Or la Bretagne est très représentative de cela.
PLACE PUBLIQUE > Mais est-ce la métropole en elle-même qui est la cause de l’exclusion. Cette dernière n’a-t-elle pas d’autres causes ?
JEAN OLLIVRO > L’exclusion des plus pauvres par la mobilité est un fait structurel attesté dans tous les pays européens. Jamais on ne verra une concentration métropolitaine qui freinerait le développement périphérique. Partout, pour des raisons foncières, les pauvres sont contraints de s’éloigner de la ville.
PLACE PUBLIQUE > Rennes semble visée par votre propos. Que faites-vous du volontarisme politique qui s’attache à contrebalancer par une politique d’habitat et de mixité sociale ce mouvement d’éjection vers la lointaine couronne ?
JEAN OLLIVRO > Vous avez raison, les villes bretonnes, que ce soit Rennes ou Nantes, ont des politiques sociales qui contrecarrent ou atténuent ce dispositif. Ici, on n’est pas à Neuilly ! Malgré cela, le fait structurel reste le plus fort. Pour moi, ce qui est contestable c’est aussi l’idée que la densification ferait le bonheur des gens, alors que la volonté très majoritaire des populations est d’habiter des maisons individuelles.
PLACE PUBLIQUE > Mais cette aspiration au pavillon individuel mange l’espace agricole, accroît les déplacements, s’oppose au développement durable…
JEAN OLLIVRO > De toutes façons, si l’on regarde les centres villes, on voit que la densification est un échec : Rennes est à 200 000 habitants et n’a pas progressé en dix ans. En réalité, la croissance métropolitaine entraîne une très forte extension des activités tertiaires dans la ville. La « tiertiarisation » des centres s’accroît tandis que la population stagne et cela malgré les tentatives de densification qui conduisent par exemple à casser l’architecture des années 30 d’une manière assez radicale. Après, on nous dit, la concentration, cela créé des transports collectifs, c’est vrai, mais seulement dans la commune-centre comme en atteste le succès du métro. En revanche, en périphérie, vous ne trouvez pas de transports en commun véritablement performants, la fréquence est trop rare, les temps d’attente trop longs.
PLACE PUBLIQUE > Faut-il donc promouvoir en Bretagne la maison individuelle, indépendante, sur des grands terrains ?
JEAN OLLIVRO > Pas obligatoirement, je crois que l’on peut faire du bâti individuel avec des densités fortes. On le voit dans des anciennes cités textiles de Calais où pour des raisons de main-d’oeuvre, on arrivait à faire des densités extrêmement fortes. On a complétement oublié cette manière de faire. Aujourd’hui, il y a de la spéculation immobilière, des opérations juteuses avec ces espèces de blocs baptisés « résidences». On loge les gens dans des appartements, ils se trouvent projetés malgré eux dans des espaces qui manquent d’identité, dans des territoires terriblement banalisés. Et l’on fait la même chose partout, y compris dans les communes périphériques, en oubliant que pendant ce temps en Bretagne des bourgs se dévitalisent avec des logements vacants.
PLACE PUBLIQUE > L’alternative, c’est le mitage, déjà destructeur du paysage rural en Bretagne?
JEAN OLLIVRO > Et pourquoi pas ? Je trouve que la vision actuelle et dominante est erronée. Elle veut imposer à la Bretagne un paysage d’openfield, venu de Paris, avec des logiques d’habitat groupé. D’un côté, on aurait des lotissements avec une continuité du bâti et de l’autre côté des agriculteurs seuls chez eux. On oublie que l’on a en Bretagne un continuum qui va de la ferme isolée à la ville moyenne sans discontinuité. Et finalement la dispersion de l’habitat dans le bocage est une bonne façon de s’associer à la personnalité d’un territoire. Actuellement en Allemagne, on redécouvre la dispersion avec des gens qui travaillent par télétravail, ce que l’on n’a pas le droit de faire en France avec des lobby nationaux qui imposent la norme pour l’ensemble du territoire.
PLACE PUBLIQUE > Mais avec une telle solution, vous accroissez les déplacements ?
JEAN OLLIVRO > Non. Je m’en réfère à plusieurs études car c’est ma spécialité. Autour de Rennes, dans les 120 communes totalement dépendantes de la ville, dans lesquelles on a 60 ou 80 % des actifs qui viennent travailler à Rennes, le nombre de déplacements, la durée de ces déplacements, avec les bouchons sur la rocade et le coût, c’est considérable! J’ai fait une carte du déplacement des actifs en Bretagne. Ce qui est très frappant, c’est d’une part la dilatation autour des grandes villes avec ces gens qui ont souvent deux voitures par ménage, voire trois ou quatre avec les enfants. Et ensuite, un peu plus loin, vous retrouvez les communes moyennes comme Fougères, Redon, Vitré, avec des auréoles très petites, c’est-à-dire des communes où les gens, comme à Lamballe, mettent neuf minutes pour aller au travail alors qu’à Rennes il vous faut trente minutes.
PLACE PUBLIQUE > Que combat exactement votre appel ? La réforme territoriale qui semble aller dans le sens des métropoles ? Les grandes villes en elle-même ?
JEAN OLLIVRO > L’adversaire, c’est l’exclusion sociale. Ces gens dont personne ne parle et surtout pas les édiles des grandes métropoles. Mon travail est fait pour lutter contre l’exclusion des plus pauvres. Point. Après je ne suis pas un politique…
PLACE PUBLIQUE > Mais tout le monde est d’accord là-dessus ?
JEAN OLLIVRO > Tout le monde est d’accord mais dans ce cas-là, il faut empêcher les villes trop dilatées.
PLACE PUBLIQUE > Mais l’exclusion sociale existe ailleurs qu’en troisième couronne? Ce n’est pas la métropole qui est à elle seule génératrice de cette paupérisation.
JEAN OLLIVRO > Oui, l’exclusion existe ailleurs. Si on prend Locmaria-Berrien qui doit être la commune la plus sinistrée de Bretagne, il n’y a plus de système de soins, il y a des choses très graves qui se passent. Mais l’exclusion par la mobilité, statistiquement, est aussi considérable, surtout aujourd’hui avec le renchérissement du prix du pétrole. À 1,57 euro le prix du sans plomb cela veut dire pour un ménage moyen du 300 euros par mois, à multiplier par deux pour un couple, ce n’est plus possible.
PLACE PUBLIQUE > L’autre aspect, plus positif, de votre appel, c’est l’exemplarité d’un modèle breton fondé sur les villes moyennes. En quoi vous séduit-il?
JEAN OLLIVRO > Nous avons en France une particularité qui est le maintien de villes moyennes. C’est particulièrement vrai en Bretagne. Mais après, on nous dit : pour avoir des fonctions supérieures stratégiques et des métiers, il faut des grandes métropoles. C’est faux, vous avez des grandes entreprises de haute technologie qui sont implantées en milieu rural, je pense au groupe Legrix, etc. Pour être objectif, je ne nie pas que se pose parfois le problème de l’emploi du conjoint qui est une vraie difficulté en Bretagne avec ces PME très dispersées. Parlons aussi d’Yves Rocher qui a 3000 emplois à la Gacilly. Les salariés y mettent moins d’un quart d’heure pour rejoindre leur travail. C’est une autre façon de penser le monde.
PLACE PUBLIQUE > Vous redoutez la menace des grandes métropoles bretonnes et craignez pour l’avenir des villes moyennes et petites, pourtant le dernier recensement montre qu’elles se portent plutôt bien ?
JEAN OLLIVRO > C’est vrai que toute la Bretagne se porte bien, mais le différentiel Haute et Basse-Bretagne s’accroît. Nous avions un différentiel de 540 000 habitants en 1850 et on est à 1,1 million aujourd’hui. Il y a un glissement des forces vives, notamment des jeunes. Or, n’oublions pas que les villes de Rennes et de Nantes ont toujours été prospères quand la Basse-Bretagne était bien constituée.
PLACE PUBLIQUE > Revenons au réseau de villes bretonnes. Comment le caractérisez-vous ?
JEAN OLLIVRO > « Réseau de villes moyennes », cette appellation me gêne car elle nie que la concurrence interurbaine qui existe. De plus elle créé un maillage de points reliés par des routes, mais en oubliant la ruralité. Je crois que l’erreur magistrale de l’aménagement en France a été d’opposer territoires urbains et territoires agricoles. Partout en Europe, en Allemagne, en Haute-Autriche, en Suède, on créé des ceintures de ruralité autour des villes qui permettent d’avoir de l’énergie bon marché, renmoins de déplacements, de la fourniture agricole, etc. Donc on promeut une association entre les villes et leurs périphéries. En Bretagne, nous avons cette panoplie de villes différentes, mais attention à ne pas casser le dispositif en créant des déséquilibres entre métropoles et reste du territoire breton. Chaque ville doit s’associer au maximum aux territoires de proximité, c’est la clef du développement.
PLACE PUBLIQUE > La proximité, c’est l’avenir ?
JEAN OLLIVRO > Le local peut être un bocal ! L’économie des circuits courts et de la proximité est bénéfique mais ne doit être en aucun cas exclusive.
PLACE PUBLIQUE > Pourtant, vous vantez cette économie dans votre dernier livre1 ?
JEAN OLLIVRO > Pas uniquement, je pense fondamentalement que l’on ne peut pas tout produire dans la proximité, que ce n’est pas un but que de tout autoproduire. J’ai travaillé sur la Bretagne d’avant les années 50, la proximité faisait que l’on n’échangeait pas assez, ce n’est pas une solution. En revanche, le coût de l’énergie ce n’est pas une idéologie de bobos. La proximité est en train de se faire par la force des choses. Avec l’envolée du coût de l’énergie, on ne pourra pas faire autrement.
PLACE PUBLIQUE > On vous prête l’intention avec cet appel signé par beaucoup de politiques de tous bords…
JEAN OLLIVRO > Il y a aussi beaucoup de profs, de scientifiques, de géographes notamment. On doit être aujourd’hui à 700 ou 800 signatures.
PLACE PUBLIQUE >…on vous prête l’intention de vous lancer dans une carrière politique ?
JEAN OLLIVRO > Écoutez, j’ai vu mon père faire cela pendant 16 ans. Pour l’instant, je n’y pense pas. J’ai l’impression que le travail scientifique que j’essaie de faire est plus utile qu’un combat politique que je ne maîtriserais pas car ce n’est pas mon métier. J’ai aussi l’impression que les politiques ne peuvent pas avancer notamment à cause des interactions avec les administratifs. En plus, les collectivités ont des difficultés financières énormes. Il faut être vraiment courageux aujourd’hui pour prendre des responsabilités.
PLACE PUBLIQUE > Les signataires de votre appel sont surtout de l’Est de la Bretagne. Souvent des maires de petites communes des environs de Rennes. C’est donc la métropole rennaise qui pose problème ?
JEAN OLLIVRO > C’est en partie vrai. Car c’est l’endroit où l’exclusion par la mobilité est la plus forte en Bretagne.
PLACE PUBLIQUE > Comment considérez-vous Brest dans ce paysage ?
JEAN OLLIVRO > Est-ce que Brest est une métropole ? Brest reproduit à l’échelle finistérienne ce que Rennes veut créer à l’échelle de l’Ille-et-Vilaine. Il y a aussi chez le maire François Cuillandre, ce désir mégalomaniaque de grosse ville. C’est soi-disant la mode. Peut-être qu’au bout de vingt années de crise énergétique, on trouvera une solution. Mais ces années-là vont être extrêmement difficiles. Des auteurs montrent que la montée du surendettement et la montée du Front national en lointaine couronne avancent du même pas. C’est vrai autour de Paris mais aussi autour de nos métropoles.
PLACE PUBLIQUE > Vous prêtez aux dirigeants des villes un désir infini d’expansion, est-ce si vrai ?
JEAN OLLIVRO > C’est très franco-français : avec le comité Balladur, les villes touchent le jackpot si elles atteignent les 500 000 habitants. Avec ces principes-là, on oublie l’économie du territoire, titre de mon dernier livre. Le grand Paris est le stade ultime : 63% des Français les plus riches sont à Paris et après, c’est la banlieue avec ses ghettos. C’est un processus extrêmement inquiétant qui est encouragé par les systèmes de dotations qui veulent que plus une commune est peuplée, plus elle reçoit d’argent par habitant. On parle d’économie liée aux aménités, à un certain nombre de services que rendrait la ville à l’ensemble de la population. Ce n’est pas si sûr : dans une étude faite sur Bain-de-Bretagne, on voyait que les gens venaient à Rennes non pas pour les loisirs ou le commerce, mais surtout pour le travail. La seule exception étant qu’ils venaient pour les matchs du Stade rennais.
PLACE PUBLIQUE > Dans votre appel, on perçoit un sentiment anti-urbain ? Vous écrivez que la métropole renforce la ségrégation et l’exclusion. N’est-ce pas un vieux discours anti-ville ?
JEAN OLLIVRO > C’est faux de nous mettre dans une case néo-ruraliste, ce serait simplifier notre démarche. Encore une fois, il ne s’agit pas d’exprimer une opinion politique, mais un constat scientifique d’exclusion sociale par la mobilité. La question est de savoir si ce modèle métropolitain créé de la cohésion sociale ou bien créé de l’exclusion sociale. Pour moi le bilan est clair.
PLACE PUBLIQUE > Vous dites aussi dans l’appel que la Bretagne est forte quand elle est unie. Mais avec votre appel, n’avez-vous pas l’impression de participez à une forme de désunion?
JEAN OLLIVRO > Non, ce n’est pas ma lecture. Mon idée est que les bretons doivent avancer ensemble avec une vision commune de leur territoire.
PLACE PUBLIQUE > Pourtant vous suggérez qu’il y a aujourd’hui deux visions incompatibles du territoire: l’une centrée sur les métropoles, l’autre défendant les petites villes et la ruralité.
JEAN OLLIVRO > Dans l’histoire, je le répète les Bretons n’ont avancé que quand ils étaient unis sur une vision partagée. Regardez le Celib des années 50 : Joseph Martray a mis près de quinze ans pour l’amener à son apogée avec 1490 maires sur les 5 départements bretons. Déjà dans le livre blanc du Celib sont évoqués ces éléments d’équilibres territoriaux et c’est ce développement des pays que l’on a oublié aujourd’hui. Tiens, j’aimerais bien qu’il y ait un appel pour le renforcement de Rennes Métropole, on verrait combien il y aurait de signatures ! Bien sûr, je dis cela par boutade ou provocation.
PLACE PUBLIQUE > Du côté des décideurs métropolitains, on dit que la métropole forte et la vitalité de petites villes bretonnes vont de pair. Que leurs développements se renforcent mutuellement plutôt qu’ils ne s’opposent.
JEAN OLLIVRO > C’est loin d’être évident. Les chiffres de progression des communes montrent au contraire, que les plus fortes progressions bretonnes sont dans la périphérie des métropoles. Ce développement se fait toujours pour des raisons financières, mais où est le projet politique làdedans ? Tous les géographes scientifiques vous diront la même chose que moi.
PLACE PUBLIQUE > À la suite de l’Appel, Rennes Métropole organise un séminaire sur cette question : êtes-vous convié ? serez-vous présent ?
JEAN OLLIVRO > J’irai si je suis invité. Ma démarche n’est pas agressive, elle part d’un constat statistique avéré. Il faut que l’on débatte. Et il y a des choses à améliorer dans les dispositifs si l’on veut peser collectivement sur l’État français afin qu’il change ses normes. Le prix du pétrole peut être multiplié par dix dans trente ans, le détroit d’Ormuz peut être bloqué demain. Qu’est-ce qui se passe à ce momentlà ? Tout serait désorganisé. C’est un devoir de mettre les choses sur la table. Sauf à rêver que l’on découvre d’ici là une énergie gratuite ! Comme disait Pierre Dac, la prospective, c’est bien difficile, surtout quand cela concerne l’avenir (rires).