Rennes a longtemps abrité de nombreuses unités de cavalerie. Ces dernières fournissaient à foison les maraîchers du pays en fumier de cheval. Ces couches chaudes firent le lit d’une variété de cucurbitacée à la chair délicatement parfumée, cousine germaine du melon noir de Carmes, nommé Cucumis melo et communément appelé « petit-gris rennais ». Sa présence est attestée dès 1636 par l’écrivain Dubuisson-Aubenay qui le remarqua dans le jardin de l’évêque de Rennes. Sa culture connaîtra son heure de gloire vers 1925, avant un coup d’arrêt fatidique lié à l’avènement, au début des années soixante, des premières serres chauffées. Ce légume-fruit, à récolter dans sa pleine maturité, demande à être manié avec précaution et ne supporte ni le conditionnement industriel ni les longs transports. Avec l’appui de Paul Bocel, maraîcher grand spécialiste de cette variété, et l’engagement des producteurs de ce melon à la chair délicate, la Cessonnaise Marie-Thérèse Rescan, aujourd’hui à la retraite, a eu l’idée de créer le syndicat des producteurs de petits-gris rennais, au cours des années quatre-vingt-dix. Un flambeau repris par Éric Bocel, maraîcher à Pacé. Cette prise de conscience a été salvatrice : la perle rennaise a depuis fait son entrée chez les grainetiers avertis et peut désormais continuer son chemin de table…
Au 17e siècle, dans ses lettres, la marquise de Sévigné mentionnait son ravissement pour le beurre de La Prévalaye, fabriqué à l’ouest de Rennes et servi jusqu’à la cour du Roi de France. En 1821, Pierre-Louis de Rigaud Vaudreuil écrivait : « Dans tout ce que j’ai parcouru de la Bretagne, je n’ai point aperçu qu’on fît aucune espèce de fromage. C’est la seule province du royaume ce me semble qui soit dans ce cas (…) Les Bretons ne s’occupent que du beurre ». La réputation du beurre de la Prévalaye dépasse largement les frontières locales, et durant tout le 19e siècle et le début du 20e, il figure en bonne place dans les guides touristiques parmi les spécialités rennaises incontournables. Avec la laiterie de Bouillant, créée en 1906 à Vern-sur-Seiche, la laiteriebeurrerie de L’Hermitage est l’une des premières du bassin rennais. Cette dernière est fondée en 1911, par l’Union des beurreries de France. En 1927, l’entreprise est vendue à la biscuiterie LU. Près de 80 personnes y travaillent alors. En 1966, la maison Bridel rachète l’entreprise qui fait désormais partie du groupe Lactalis.
Depuis trois générations, les Grands moulins de Rennes tenus par la famille Logeais fabriquent leur farine au coeur de la ville, juste derrière le Théâtre national de Bretagne, rue Duhamel. Ils sont les cofondateurs de Banette, une farine haut de gamme autant qu’un processus de fabrication. Le plus puissant des moulins après celui de Rennes est le moulin d’Acigné, qui appartient à la famille Desguées. Il fournit les maîtres boulangers, proposant des mélanges de farines avec différents types de graines (lin, pavot, millet, sésame, tournesol, etc.). Le moulin de Champcors, à Bruz, dans la famille Pivan depuis trois générations, fabrique des farines artisanales non traitées et non ionisées, à partir de blés de terroir issus de l’agriculture raisonnée. Les farines destinées aux artisans boulangers sont également disponibles sur commande pour les particuliers. Stéphanie Labordère, minotière au moulin d’Épron à Nouvoitou fabrique, depuis sept ans, des farines biologiques à destination des artisansboulangers. Le moulin de Brécé propose sa farine aux boulangers uniquement et le moulin de Charbonnière à Saint-Grégoire est depuis 1923, spécialisé en farine de blé noir ou sarrasin. Une véritable culture minotière rennaise, relativement méconnue du grand public.
Il fallait oser… Brigitte Roussel, de la chocolaterie Durand, a fait de la célèbre recette de l’empoisonneuse Hélène Jégado, une spécialité rennaise ! Farine, beurre, oeufs sucres, angélique confite, raisins secs, amandes et rhum… Sans arsenic, ce délicieux gâteau donne encore bien des frissons, de plaisir cette fois. Traduite devant la Cour d’assises d’Ille-et-Vilaine le 6 décembre 1851, accusée d’empoisonnements et de vols qualifiés, Hélène Jégado fut guillotinée à 48 ans, le 26 février 1852 sur le champ-de-Mars. Elle était entrée au service du sieur Bidard, professeur à la faculté de droit de Rennes. Le 7 novembre 1850, Rose Texier, autre domestique, « expira dans de cruelles souffrances ». Ce fut le dernier d’une série d’une trentaine de meurtres commis entre Auray, Plumeret, Pontivy, Hennebont… par celle que la presse de l’époque présentait comme « une erreur de la nature ou un fléau de Dieu ». Ce gâteau rennais découvert par hasard a aiguisé l’appétit de l’écrivain Jean Teulé, qui raconte l’histoire de la Jégado dans son livre Fleur de Tonnerre, publié en 2013 aux éditions Julliard.
Désigné sous de multiples noms en gallo selon le lieu où il est consommé, le craquelin est une spécialité de Haute-Bretagne. La première recette connue est publiée en 1607. Les craquelins sont fabriqués par « échaudage », cuisson par trempage dans l’eau bouillante avant le passage au four, ce qui permet d’obtenir de petits pains soufflés qui se conservent parfaitement. Lors de leurs campagnes de pêche à Terre-Neuve, les marins-pêcheurs embarquaient des sacs remplis de craquelins dans les soutes. Si le craquelin a peu à peu disparu des boulangeries citadines, il a succombé à son tour aux sirènes du marketing. On le retrouve notamment en version apéritive, à la manière des « Mini Malo », ces petits toasts à garnir proposés par la société malouine Les Craquelins de Saint-Malo, fondée en 1923 et désormais labellisée « Entreprise du patrimoine vivant » par l’État. Ses 32 salariés fabriquent quotidiennement 100 000 craquelins, en version petit-déjeuner, apéritif ou grignotage.