de Rennes 2
Les caractéristiques des étudiants de Rennes 2 sont tout d’abord définies par la gamme (à dominante Lettres – Sciences humaines) des études offertes, par le statut de l’établissement (université publique) et par la localisation de cette université dans une capitale régionale.
La plupart des disciplines proposées accueillent, comme c’est partout le cas en France, une majorité de filles, parfois très forte : en lettres classiques et modernes, dans les principales langues vivantes, en histoire de l’art ou en psychologie, le taux de féminisation est voisin de 80 %. Il est vrai que certaines formations, comme la géographie et surtout les sciences et techniques des activités physiques et sportives, sont à dominante masculine mais, dans l’ensemble, la supériorité numérique des filles est écrasante : deux inscrits sur trois, soit une proportion beaucoup plus forte que celle – 55 % – qui est constatée dans l’enseignement supérieur à l’échelon national.
Comme on l’observe dans l’ensemble des formations post-baccalauréat, les enfants des classes supérieures sont surreprésentés mais ils le sont moins que dans les filières les plus sélectives et les plus élitistes (telles que la médecine ou les classes préparatoires, a fortiori les « Grandes écoles »), moins même que dans l’enseignement supérieur pris dans son ensemble : les enfants du bloc « ouvriers, employés, agriculteurs » et surtout des classes moyennes à revenus modestes y sont en proportion relativement élevée et le pourcentage de boursiers sur critères sociaux – un peu plus de 37 % – y est sensiblement plus important que la moyenne nationale (29,5 %).
Le taux d’étudiants « décohabitants », c’est-à-dire ne résidant pas, au moins en période de cours dans le logement familial, est très élevé : très près de 80 %, alors qu’il n’est que de 63,5 % à l’échelon national. Dans les petites villes, au contraire, où les étudiants poursuivent en général des études supérieures courtes (telles la préparation au brevet de technicien supérieur), ils restent à proximité du domicile familial. À Paris aussi, la combinaison d’une offre locale de formation très diversifiée, de l’extrême rareté des chambres en cités universitaires et du niveau élevé des loyers dans le parc privé incite au maintien prolongé de l’hébergement parental.
Enfin, les nouveaux inscrits ont un âge un peu plus élevé que celui observé dans l’ensemble de l’enseignement supérieur : ils ont passé le bac, en moyenne, à un peu plus de 19 ans, le redoublement d’une année de collège ou lycée étant la norme commune. L’écart avec la moyenne nationale est cependant léger : quelques mois seulement. Il est bien sûr plus accentué si la comparaison est effectuée avec les formations les plus sélectives, comme les écoles préparatoires ou la médecine, où les nouveaux inscrits sont pour la plupart des bacheliers dits « à l’heure » ou « en avance », bacheliers à 18 voire 17 ans.
On sait que Rennes 2 est une université qui a été caractérisée, lors des mouvements sociaux de ces dernières années, par la longueur des périodes de grève et la radicalité de certaines formes d’action. Cependant les informations recueillies ne semblent pas associer cette dimension conflictuelle à une opposition particulière des étudiants à l’égard de l’institution où ils sont inscrits.
La frange d’étudiants « séchant » volontairement tous les cours ou presque est un peu plus importante que celle relevée à l’échelon national (légèrement plus de 4 % au lieu d’à peine 3 %) mais, en revanche, un peu plus des trois quarts des étudiants y déclarent ne sécher jamais ou presque jamais les cours : 76,5 %, alors que le taux national enregistré est de 72,3 %. Il est vrai que les filles, largement majoritaires à Rennes 2, sont presque toujours plus assidues que les garçons mais les variations observées selon le sexe en lettres et sciences humaines restent modérées : le taux de suivi des cours à Rennes 2 témoigne donc d’une implication pédagogique estudiantine très convenable.
Si l’on s’attarde sur la façon dont les étudiants évaluent leurs conditions de formation, on observe que les étudiants de Rennes 2 ne formulent pas un jugement beaucoup plus sévère à l’égard de leur établissement que l’ensemble des inscrits dans l’enseignement supérieur, filières sélectives incluses : ils sont un peu moins nombreux à porter l’appréciation « satisfaisant ou très satisfaisant » (26,5 % au lieu de 29,4 %), un peu plus à juger que les conditions offertes par leur établissement sont, dans l’ensemble, « acceptables » (65,4 % au lieu de 62,6 %), pas plus à les déclarer « insatisfaisantes ou très insatisfaisantes » (8 % à Rennes 2 comme à l’échelon national). Il peut être cependant utile de préciser à la fois que 8 % c’est beaucoup par rapport à des établissements comme Rennes 1 où les insatisfaits ou très insatisfaits sont à peine 1 %, mais deux fois moins que le taux de 16 % observé à Toulouse-le-Mirail, autre université connue pour la fréquence, la longueur et la radicalité des grèves estudiantines.
Lorsqu’on regarde dans le détail on s’aperçoit que les étudiants de Rennes 2 sont assez nettement moins indulgents que la moyenne avec leurs enseignants : ils ne sont qu’un quart (24,5 %) à être satisfaits ou très satisfaits de leur disponibilité contre sensiblement plus des deux tiers (37,8 %) à l’échelon national ; mais près des trois quarts de ceux qui ne jugent pas cette disponibilité satisfaisante la tiennent néanmoins pour « acceptable ». Pour ce qui concerne certains aspects de leur accueil et de leur accompagnement, les étudiants de Rennes 2 sont parfois plus satisfaits que la moyenne : c’est le cas pour ce qui concerne la communication des informations sur la vie de l’établissement et en particulier sur son calendrier : près de 27 % de satisfaits contre guère plus de 17 % à l’échelon national. Le point apparemment le plus noir est celui de l’information relative à l’orientation et aux débouchés. Il est vrai que c’est la seule dimension où à l’échelon national le pourcentage d’insatisfaits atteint la moitié des étudiants (50,4 %) alors que les satisfaits (ou très satisfaits) ne sont que 11,5 %. Mais à Rennes 2, s’il n’y a pas plus d’insatisfaits qu’en moyenne nationale, la proportion de satisfaits est particulièrement faible : 7,6 %, guère plus d’un étudiant sur treize.
À vrai dire, ce désaveu apparent de la façon dont est transmise « l’information sur l’orientation et les débouchés » reflète peut-être moins une évaluation objective du service fourni qu’une angoisse face à l’avenir, une inquiétude sur les perspectives d’insertion professionnelle associées aux parcours suivis. On ne peut comprendre en effet les représentations et comportements des étudiants de Rennes 2 qu’en tenant compte de la fréquence élevée de leur pessimisme en matière de débouchés professionnels. À la question, « Pensez-vous que votre formation vous permettra de trouver du travail… très facilement, plutôt facilement, plutôt difficilement, difficilement ? » ils ne sont que 3,5 % à répondre « très facilement », au lieu de 14,6 % à l’échelon national ; ils sont aussi moins nombreux à répondre « plutôt facilement » (42,9 % au lieu de 54,3 % à l’échelon national). Corrélativement, ils sont plus nombreux à répondre « plutôt difficilement » (37,9 % au lieu de 24,7 %) et « difficilement » (15,7 % au lieu de 6,4 %). La différence sur ce plan est particulièrement accusée avec Rennes 1 où plus du quart des étudiants pensent trouver facilement du travail et où très peu, sensiblement moins de 5 %, estiment qu’ils en trouveront difficilement.
Bien entendu, on est ici dans le domaine des perceptions, des croyances, des anticipations étudiantes, non dans la mesure de leurs probabilités objectives de trouver aisément ou difficilement un emploi. Mais la façon dont les étudiants évaluent leurs chances d’insertion n’est pas totalement fantaisiste et, en tout cas, ces évaluations ont une réalité en tant qu’évaluations, une incidence en tant qu’elles sont liées à une vision du présent et de l’avenir, des sentiments de confiance ou d’inquiétude, une appréciation subjective du sens des études suivies et de la rentabilité des efforts entrepris.
Une autre dimension importante pour apprécier les caractéristiques des étudiants de Rennes 2, et notamment ce qui peut les différencier de leurs pairs inscrits dans l’université voisine de Rennes 1, est celui de l’emploi du temps. Ils déclarent en moyenne entre 26 et 27 heures de travail scolaire hebdomadaire (heures cumulées de cours, de travaux pratiques ou dirigés, de travail personnel). C’est très peu par rapport aux classes préparatoires où le nombre d’heures de travail scolaire par semaine est de l’ordre de 60, peu par rapport à Rennes 1 (où la moyenne – environ 40 heures – est tirée vers le haut par la médecine et les autres formations sélectives), assez peu aussi par rapport à la moyenne nationale de l’enseignement supérieur : entre 36 heures et 36 heures et demie. On observe donc à Rennes 2 un taux d’encadrement pédagogique relativement relâché et une faible coïncidence entre l’agenda de la vie étudiante et celui de la vie studieuse.
Cependant si les étudiants de Rennes 2 effectuent moins de travail scolaire, ils sont beaucoup plus nombreux à exercer un travail rémunéré extrascolaire. Un peu plus de 30 % pratiquent un job (heures plus ou moins régulières de cours particuliers, baby-sitting, participation occasionnelle à des sondages, etc.) alors que le taux national est inférieur à 24 % et celui de Rennes 1 très sensiblement inférieur à 20 %. Et surtout, un peu plus d’un cinquième (20,7 %) exercent une activité très concurrente des études, c’est-à-dire sans le moindre lien formel avec le cursus et cependant pratiquée au moins à mi-temps, au moins six mois par an. Ce type d’activité à la fois totalement parallèle aux études et très consommateur de temps (on sait que, contrairement aux petits jobs, il accroît sensiblement les risques d’échec aux examens, donc de redoublement ou d’abandon) n’est déclaré que par 13,2 % des étudiants à l’échelon national (et environ moitié moins à Rennes 1). En revanche, un type d’activité rémunérée est relativement peu pratiqué à Rennes 2, c’est celui qui est intégré aux formations suivies, qu’il s’agisse d’activités très particulières, comme l’externat ou l’internat hospitalier en faculté de médecine, ou plus communes, comme les stages institutionnalisés : le taux de pratiquants à Rennes 2 est de 4,5 % ; il est le double en moyenne nationale et entre cinq et six fois plus élevé à Rennes 1.
Ainsi les étudiants de Rennes 2 sont, dans l’ensemble, plus nombreux que la moyenne des étudiants à exercer des activités rémunérées en période d’études (les emplois d’été sont ici négligés) alors même qu’ils ont un faible accès à celles qui sont intégrées au cursus et ne compromettent pas les chances de réussite. On peut estimer qu’il y a à cela plusieurs motifs dont les mécanismes sont entrelacés :
– on l’a vu, la proportion d’étudiants issus des classes supérieures est moins élevée que celle qu’on observe en moyenne dans l’ensemble des cursus post-baccalauréat ; or, en règle générale, le poids des inscrits issus de milieux économiquement modestes favorise, malgré l’assistance apportée par les aides publiques, une fréquence assez élevée d’activités dont l’appoint financier peut être impérativement nécessaire à la poursuite des études ou en tout cas précieux pour éviter une vie étudiante trop rude, trop austère ;
– on l’a vu également : le fait qu’en matière d’emploi du temps les étudiants de Rennes 2 sont soumis à des exigences pédagogiques relativement faibles autorise d’importants investissements parallèles alors que ces derniers sont chronologiquement exclus pour les étudiants en classes préparatoires et plus généralement peu compatibles avec l’ensemble des cursus imposant beaucoup plus d’heures de cours et/ou de travail personnel ;
– enfin le taux d’étudiants ayant au moins un an de retard est un peu plus élevé à Rennes 2 (45,6 %) qu’il ne l’est en moyenne nationale : 42,3 % (à Rennes 1 il est sensiblement inférieur à 40 %) : or plus un étudiant est âgé plus il est incité à accroître son autonomie économique, surtout s’il n’est pas engagé dans un cursus particulièrement sélectif et prometteur.
Le fait que les étudiants de Rennes 2 aient des investissements « parallèles » aux études relativement importants ne s’observe cependant pas seulement dans le domaine de l’activité rémunérée. En raison pour une part (mais non exclusivement) de la prépondérance féminine, ils entrent plus fréquemment dans une vie de couple, formalisée ou non par un mariage : 27 % à Rennes 2 contre 22 % à l’échelon national et aux environs de 15 % à Rennes 1. Leur participation aux activités sportives ne se singularise pas, dans l’ensemble, par rapport à celle observée à l’échelon national ou à Rennes 1 ; en revanche leur implication dans des activités artistiques ou culturelles est très élevée chez les garçons et plus encore chez les filles, un peu plus de la moitié de ces dernières étant inscrites dans une association, alors qu’elles ne sont que 37,3 % à l’échelon national et très sensiblement moins encore à Rennes 1. Enfin, le taux de participation aux activités politiques et syndicales est à Rennes 2 presque trois fois plus élevé que la moyenne nationale chez les garçons (20,3 % contre 7,4 %) et presque deux fois plus élevé chez les filles (7,4 % contre 4 %). Ce taux, malgré la présence des cursus de sciences politiques, est au contraire plus faible que la moyenne nationale à Rennes 1.
En définitive, le profil des étudiants de Rennes 2 apparaît plus complexe qu’on ne pouvait le croire au premier abord. Si on se limitait à une perspective strictement scolaire, si on se représentait la vie étudiante comme devant coïncider parfaitement avec la vie studieuse, comme une vie exclusivement vouée à l’acquisition de disciplines et de diplômes, alors on pourrait se satisfaire de considérer ces étudiants de Rennes 2 comme une population relativement modeste. Ils ont en effet des performances plus ou moins inférieures à la moyenne lorsqu’on observe l’âge d’obtention du baccalauréat, le temps consacré aux apprentissages, les pourcentages d’étudiants en avance ou à l’heure, d’étudiants satisfaits ou très satisfaits de leur établissement, d’étudiants optimistes quant aux perspectives professionnelles, etc.
Mais une vie étudiante imparfaite du point de vue des critères académiques ne peut être réduite à une vie étudiante amputée parce que les étudiants ne sont pas seulement des étudiants : ils constituent aussi une forme spécifique de passage de l’adolescence au statut adulte, une catégorie particulière de la jeunesse. Il faut se souvenir d’ailleurs qu’un mouvement étudiant aussi massif et aussi symbolique que celui de mai et juin 19681 n’est compréhensible que si, au-delà des préoccupations de diplômes, on s’intéresse aux logiques des grévistes et manifestants en tant que jeunes confrontés à des problèmes spécifiques de conquête de l’autonomie à l’égard des tutelles académiques et parentales, de gestion de la sexualité, d’expérimentation de la citoyenneté. Autrement dit pour situer les étudiants de Rennes 2, il ne faut en aucun cas négliger ce qu’ils font after hours, en dehors du temps proprement scolaire : activité économique, vie en couple, investissement associatif, engagement militant.