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Dossier
#29
Les enjeux de la livraison du « dernier kilomètre »
RÉSUMÉ > Comment optimiser la livraison des marchandises en centre-ville ? Avec l’essor du commerce électronique, les colis affichent une croissance impressionnante et les points de livraison se multiplient. Une récente étude du Codespar a fait le point sur la situation rennaise. À l’issue d’un diagnostic partagé entre commerçants et transporteurs, des expérimentations concrètes vont être lancées prochainement. Afin d’améliorer la livraison du « dernier kilomètre », au plus près du client.

     L’urbanisme et la logistique entretiennent des relations complexes. Au point que la logistique urbaine fait désormais l’objet d’études spécifiques et approfondies. Se définissant comme la façon d’acheminer dans les meilleures conditions les flux de marchandises qui entrent, sortent et circulent dans la ville1, la logistique urbaine recouvre une réalité économique non négligeable : le dernier kilomètre représente près de 20 % du coût total de la chaîne de valeur du transport de marchandises. À l’échelle nationale, elle pèse environ 20 % du trafic, occupe 30 % de la voirie et se trouve être à l’origine de 25 % des émissions de gaz à effet de serre, selon les chiffres publiés par le Comité d’analyse stratégique.
    À l’échelle d’un territoire, cette thématique recouvre de nombreux enjeux essentiels, à la fois économiques, environnementaux, sociétaux ou encore urbanistiques (voir encadré ci-contre).
    Dans une agglomération comme Rennes Métropole, la croissance des livraisons en centre-ville liée au développement du e-commerce, conjuguée au lancement des travaux des grands chantiers métropolitains (seconde ligne de métro, EuroRennes, cité des congrès…) renforce le besoin d’anticiper de futures contraintes et de définir des pistes d’actions favorisant une logistique urbaine plus performante et durable.
    Les collectivités, compte tenu de leurs compétences en matière d’usage du sol, de réglementation de la circulation, d’organisation des déplacements mais aussi en matière économique, disposent de leviers d’action qui les placent au premier rang des acteurs pouvant faire évoluer les pratiques. Rennes Métropole, dans le cadre de ses compétences, a ainsi saisi son conseil de Développement (Codespar) afin de mener un diagnostic partagé de la situation de la livraison des marchandises en ville. L’objet est de faire émerger collectivement des propositions d’actions visant à réduire les externalités négatives liées à la logistique du « dernier kilomètre » (congestion, consommations énergétiques, émissions de polluants, etc..) mais aussi d’améliorer le coût et la qualité de ce type de livraison2.

La montée en puissance de la « e-logistique »

     Le contexte de mutations de la structure commerciale des centres-villes, la croissance du e-commerce (+ 13 % par an) et le développement de stratégies multicanales (vente en ligne et en boutique physique) de la part des commerçants génèrent une augmentation des livraisons en centre-ville.
    Sur le plan de la logistique urbaine, ces mutations des modes de consommation se traduisent par une hausse des flux et de la fréquence des livraisons en centre-ville, ainsi que par une spécialisation de certains acteurs sur le segment de marché de la messagerie urbaine dédiée à la livraison du commerce électronique, ou e-commerce. On peut ainsi parler d’un nouveau secteur émergent : la « e-logistique ». Parmi les opérateurs qui se sont spécialisés sur le segment de l’e-logistique (livraison des colis du e-commerce), on trouve à la fois des logisticiens traditionnels, tels que BSL à Bruz ou Mobiltron par exemple mais également des transporteurs comme Fedex, Geodis, ou encore Mory. Une part non négligeable de l’activité est également assurée par de la sous-traitance auprès de transporteurs spécialisés sur la livraison du dernier kilomètre, souvent indépendants et disposant de véhicules utilitaires légers (VUL).
    En France, le paysage de la livraison de colis auprès des particuliers reste dominé par La Poste. Ce groupe dispose en effet d’une palette d’outils en matière de livraisons à domicile : livraison chez les particuliers via le réseau historique de distribution du courrier, le dispositif Chronopost ou encore les consignes automatiques (Cityssimo).

     Il convient également de mentionner l’arrivée de nouveaux acteurs économiques spécialisés sur le segment de la messagerie urbaine utilisant des modes doux ou des solutions décarbonées. À Rennes, il s’agit par exemple des Triporteurs rennais, qui interviennent notamment en sous-traitance des livraisons du groupe la Poste, ou encore la SCOP Toutenvélo, accompagnée par La Novosphère.
    Ces nouveaux venus se positionnent essentiellement sur la livraison de colis aux particuliers. Leur coeur de cible vise les livraisons issues du e-commerce, en B to C (« Business to Consumer ») mais parfois aussi entre particuliers (C to C).

     Le point relais est le second mode de livraison privilégié par les cyber-clients. Selon l’Ifop, 50 % des internautes utilisent les points relais comme mode de livraison principal. Ces dispositifs offrent la possibilité au client de réceptionner ses colis à l’heure de son choix et dans un lieu qu’il définit au préalable.
    Un certain nombre d’opérateurs interviennent sur ce champ : Mondial Relais, Relais Kiala, Relais colis, etc.
    Ils représentent un avantage certain sur le plan économique puisque ce système limite le nombre d’arrêts des livreurs (15 arrêts en moyenne pour les points relais contre 50 pour les livraisons à domicile). La livraison en point relais est donc moins coûteuse que la livraison à domicile pour l’opérateur. La concentration du nombre d’arrêts a également un impact environnemental positif.
    Autre piste prometteuse : la boîte à colis automatique. Elle fonctionne comme une consigne automatique dans laquelle le livreur ou le commerçant dépose le colis et le client vient le retirer, 24 h / 24 et 7 j / 7, à l’aide d’un code qui lui permet de l’ouvrir automatiquement. Le Groupe La Poste a par exemple déployé ce type de solutions à Sceaux en région parisienne.

     L’étude du Codespar a fait apparaître l’existence d’un diagnostic partagé de la situation locale en matière de livraisons du dernier kilomètre.
    Le travail mené auprès des commerçants rennais a permis de caractériser les flux entrants au sein des commerces locaux. Sur un plan quantitatif, les livraisons se traduisent par environ 10 000 colis/jour (dont 7 000 livraisons et 3 000 enlèvements quotidiens) et des volumes de livraisons relativement faibles (sacs, colis et palettes). À noter que 60 % des livraisons sont effectuées par des véhicules utilitaires légers et qu’elles sont réalisées pour plus de la moitié en compte propre (par le client). Pour l’heure, les deux opérateurs rennais en mode doux (Triporteurs rennais et Toutenvélo) assurent 10 % des livraisons, et leur activité s’inscrit en forte croissance.
    Sur un plan plus qualitatif, en matière de conditions d’approvisionnement, la situation du centre-ville de Rennes est satisfaisante selon les commerçants rennais. Conscients des difficultés et du stress auxquels sont soumis les livreurs, ils ne sont toutefois pas prêts à subir des coûts ou des délais supérieurs pour leurs livraisons. Une réactivité dans la livraison est, selon eux, gage de dynamisme commercial. Les commerçants ont, dans le cadre de cette démarche, fait part d’une crainte de voir l’existant évoluer.
    En d’autres termes, leur souhait est de « ne pas créer de contraintes supplémentaires dans les conditions de livraisons ». Du point de vue des transporteurs, un certain nombre de difficultés se posent en matière de livraison du dernier kilomètre. Les professionnels intervenant dans le centre-ville évoquent ainsi pêle-mêle le stationnement et le manque de places dédiées, la difficulté de livrer dans les zones piétonnes, les conditions de circulation et la congestion à certaines heures de la journée…
    Plus globalement, la multiplication des conflits d’usage et l’augmentation du stress figurent parmi les difficultés croissantes observées par les transporteurs.

Des aires de livraisons sous-utilisées

     C’est l’une des surprises de l’étude : alors qu’il existe 90 emplacements dédiés aux livraisons de marchandises sur la ville de Rennes, dont 54 dans le centre-ville, seulement 20 % des livraisons opérées dans ce secteur sont effectuées en utilisant les aires prévues à cet effet.
    Cette faible utilisation s’explique, du point de vue des transporteurs, par un relatif éloignement du lieu de destination des marchandises livrées mais aussi par le fait que les aires de livraisons dédiées sont souvent occupées par des véhicules de particuliers en stationnement, ce qui est interdit.

     Quelques opérateurs utilisent aujourd’hui le véhicule électrique pour la livraison de marchandises en ville. Toutefois, celui-ci subit un certain nombre de contraintes économiques : tout d’abord, le surcoût estimé par les transporteurs est de l’ordre de + 20 à + 30 % par rapport aux véhicules thermiques traditionnels.
    En dépit de l’économie réalisée sur le coût du carburant, l’acquisition en propre ou la location longue durée de ce type de véhicule grève le modèle économique des transporteurs et ne permet pas un retour sur investissement à court terme. Dans le contexte économique actuel, les transporteurs ont donc du mal à mettre en oeuvre ces solutions plus coûteuses même si elles sont plus vertueuses sur le plan environnemental. Concernant l’utilisation du GNV (Gaz Naturel pour Véhicules), les contraintes sont, comme dans le cas du véhicule l’électrique, d’ordre financier car le coût de revient au kilomètre est plus important que pour un véhi- Richard volante cule thermique. Les limites sont aussi d’ordre technique puisque les points de recharge en GNV sont aujourd’hui peu nombreux dans l’Ouest, le plus proche de Rennes se situe à Saint-Herblain (Loire-Atlantique) !

     Au regard des faibles marges de manoeuvre dont disposent les opérateurs sur le plan économique, il est possible de s’interroger sur l’opportunité de mettre en place des démarches de mutualisation de flux ou de moyens (matériels, locaux, etc..) en vue de réaliser des économies d’échelle. Certains opérateurs bénéficiant de volumes et moyens financiers conséquents tels que Distripolis (mutualisant les flux de Geodis Calberson, France Express et Geodis Ciblex) ont tenté l’expérience à Paris en 2011 et à Strasbourg début 2012. Ainsi, Distripolis a mis en place des bases logistiques réparties dans la ville, à partir desquelles rayonnent des véhicules adaptés à la livraison du dernier kilomètre.

     Mais la mutualisation des flux entre opérateurs demeure malheureusement marginale dans le secteur de la logistique et du transport pour des questions d’image, de responsabilité, de moyens ou encore de traçabilité des flux. En effet, un certain nombre de contraintes pèsent sur les projets de mutualisation. La valeur ajoutée dans le secteur repose, entre autres, sur l’image associée au transporteur, image liée à la renommée du prestataire et au respect des délais. Les transporteurs souhaitent rester garants de cette qualité de service. Dans le cas d’une mutualisation de flux ou d’une sous-traitance de la livraison du dernier kilomètre, les transporteurs n’ont pas de visibilité sur la qualité du service rendu au client. La question de la responsabilité juridique des marchandises se pose également dans le cadre d’une réflexion sur la mutualisation des flux. La problématique de la traçabilité informatique des produits avec des systèmes de suivi propres à chaque opérateur limite ce type de projet. Enfin, le coût du foncier et sa faible disponibilité en hypercentre freinent les tentatives de mutualisation entre opérateurs.

     Au terme de ce diagnostic, un certain nombre de propositions d’actions et d’expérimentations ont été définies. Elles visent à la fois à faciliter la circulation des marchandises dans le centre-ville de Rennes, optimiser leur accueil dans un environnement de plus en plus contraint mais aussi à mieux accompagner les consommateurs dans leurs pratiques de livraisons. On peut d’ores et déjà citer quelques exemples d’expérimentations et pistes d’actions issues de la démarche :

> Mise en place d’une charte de bonnes pratiques collectivité/ transporteurs.
Création de points d’accueil de camions où des outils mutualisés (transpalette électrique par exemple) prendraient le relais pour les derniers kilomètres de livraison.
Réflexion sur la mise en oeuvre d’un plan de circulation dédié aux marchandises.
Installation sur l’espace public d’une boîte à colis automatique où les particuliers peuvent venir retirer leur commande 24 heures/24.
Prise en compte par les aménageurs et promoteurs d’outils intégrant la livraison à domicile dès la conception de nouveaux immeubles.
Livraisons de colis sur le lieu de travail.

     Les premières expérimentations sont en cours de préparation. L’année 2014 sera donc consacrée à leur mise en oeuvre. Certaines d’entre elles seront intégrées au futur Plan de déplacements urbains de Rennes Métropole. Le dernier kilomètre n’a pas fini de faire parler de lui !