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Dossier
#29
RÉSUMÉ > Les mobilités alternatives engendrent de nouveaux comportements et de nouveaux usages des moyens de transports individuels et collectifs. Les initiatives se multiplient dans les grandes agglomérations françaises et internationales. Mais de nombreuses résistances sont à l’oeuvre et freinent leur déploiement à grande échelle. Panorama des nouvelles mobilités, innovantes et parfois révolutionnaires.

     Les nouvelles mobilités ont cela de nouveau qu’elles constituent des alternatives variées à l’usage exclusif de la voiture particulière. Une part notable – mais non majoritaire — de la population se déplace désormais différemment. Pour autant, caractériser ces nouvelles mobilités n’est pas si simple, à l’aune du foisonnement des expérimentations et des multiples astuces marketing qui les accompagnent. Pour cette raison, mieux vaut différencier la question de l’offre ou du potentiel des solutions de mobilités (bouquet de services) et celle des pratiques des usagers, qui ont de plus en plus tendance à former des chaînages de déplacements imbriquant différents modes de transports (voiture, marche, transports en commun). On ne bouge relativement pas plus qu’avant, voire moins, mais différemment, et avec des modes renouvelés. De plus, les opérateurs de mobilité ne sont plus seulement publics ou privés, mais des usagers euxmêmes se constituant comme opérateurs, comme dans le cas du covoiturage dynamique. Enfin, on reconnaît à certaines pratiques individuelles de mobilité une capacité à rendre plus compatibles les modes de vie avec les objectifs de durabilité, d’où le fait par exemple de parler désormais de mobilités « actives » plutôt que « douces ».

     Qu’en est-il tout d’abord du côté de l’offre ? Sur ce plan, il faut noter que les modes classiques se sont considérablement renouvelés. Le tramway est revenu dans nombre de grandes villes ou villes intermédiaires (Tours étant la dernière en date) et tous s’accordent à en souligner le réel succès ainsi que sa capacité à transformer des pratiques de mobilité, le cas de Brest restant exemplaire. Reste que ce succès du tram atteint aujourd’hui un seuil critique. On ne peut s’empêcher de relever dans l’actualité politique récente en France – à l’occasion des municipales – une frilosité certaine de la part des équipes d’opposition au regard des projets de leurs prédécesseurs. Nombre de projets pourraient bien être remis en question comme à Amiens et peut-être à Caen, Aubagne, Avignon… De plus, les solutions techniques des grandes villes, inaccessibles financièrement aux villes moyennes et petites, exigent de leur part de prospecter d’autres pistes. Un vif débat oppose les tenants d’une offre low cost (comme en a proposé le groupe Bolloré), de bus à haut niveau de service (BHNS) comme Staway à Nancy ou le Chronobus de Nantes, et de solutions tram plus modestes. Pour les anti-BHNS, le tramway coûte certes plus cher mais dure bien plus longtemps.
    Des collectivités renouvellent donc leur offre en déployant de nouvelles technologies. Brunswick, ville d’Allemagne du Nord, a mis en service au mois de mars un bus 100 % électrique dit « biberonné » c’est-à-dire rechargé au sol par à-coups à chaque arrêt, solution que la nouvelle majorité parisienne annonçait vouloir expérimenter à Paris sur les quais de la Seine. Aubagne est en train de s’équiper du plus petit tramway de France, qui sera par ailleurs gratuit (pour les usagers), avec des rames deux fois plus petites et coûtant deux fois moins cher.
    Il y a donc de l’innovation, sur ce créneau des transports en commun, auxquelles s’ajoutent de multiples initiatives marketing pour relancer la fréquentation. Cartes uniques, tarifs attractifs, les opérateurs tentent sans cesse d’éliminer le frein du paiement. C’est le cas par exemple à Strasbourg avec le passage à une carte dématérialisée (paiement mobile) qui permet de valider tous les modes de transport, ou bien à Nantes passée avec Valence au post-paiement pour ses transports collectifs : avec Libertan, on ne paie que ce qu’on a consommé réellement plutôt qu’un abonnement global.

     Il ne faudrait pas non plus passer sous silence le redéploiement du tram-train qui, même s’il reste discuté dans son succès et sa pertinence au sein des opérateurs de transport, n’en reste pas moins un succès sur les lignes récemment ouvertes en Loire-Atlantique. D’autres projets sont aussi annoncés en région parisienne (tel le tram-train Massy-Versailles prévu pour 2020). Les lignes de tram lyonnaises tentent quant à elles de résoudre l’épineux problème des nouvelles mobilités dans les périphéries urbaines – on pourrait presque parler de tram périurbain dans le cas de Lyon. Une autre voie, plus modeste, pour les périphéries urbaines, face aux fermetures de lignes, est le Transport à la Demande (TAD), répandu dans les zones peu denses.
    Les opérateurs ne manquent pas non plus d’ingéniosité pour inciter davantage à pratiquer les transports en commun. Certains proposent désormais aux utilisateurs de vivre une véritable « expérience embarquée ». Ils tentent par exemple de surmonter le manque d’aménité du transport en car avec, à Rennes, une expérimentation menée dans les bus urbains de diffusion sur mobile de la télévision (TvStar) ou cette opération sur le réseau Illenoo en Ille-et-Vilaine consistant à diffuser près de 400 ouvrages gratuitement sur ses lignes au mois de mars !

     Une autre évolution est liée à la petite révolution – toute en lenteur ! – des véhicules électriques. Expérimenté un temps sur Rennes autour des bornes électriques, l’autopartage, déjà lancé en moteur classique depuis quelques années à Nantes avec « Marguerite », s’est donc implanté de manière un peu conséquente avec Autolib de Paris, puis à Lyon et Bordeaux et plus récemment Angoulême avec Mobili’volt. Le succès est incontestablement au rendez-vous : rentable à Paris plus tôt que prévu pour le groupe Bolloré, il est désormais suivi par des propositions de scooter électrique en partage. Dans le même temps Renault lançait son astucieux Twizy, sorte de scooter électrique biplace et sans permis. D’autres formules non-électriques (parfois hybrides) ont été aussi déployées par certaines collectivités comme Grenoble qui met désormais à disposition des minibus en autopartage (Citelib), ou Belfort qui lance un service d’utilitaires et de voitures en libre-service. Belfort propose aussi une offre dite « triple play » : bus + vélos en libreservice (VLS) + autos en libre-service. Belfort, encore, où après avoir mis en oeuvre la généralisation du postpaiement en 2008, le Syndicat mixte des transports en commun du Territoire de Belfort (SMTC) a déployé une flotte de VLS accessibles pour seulement deux centimes la minute, et d’autopartage à 30 centimes le kilomètre. Dans le marketing de la mobilité, il faut être très réactif !

     Dans ce contexte porteur, un vif débat s’est cristallisé autour du covoiturage à but lucratif, lors du violent conflit entre les taxis est les Véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC), ou plus simplement de particuliers se transformant en chauffeurs privés, concurrents donc des taxis. La Direction de la concurrence a donc rappelé que « l’entretien d’une confusion entre le covoiturage licite et un service de transport à but lucratif constitue une pratique commerciale trompeuse ». Un véritable marché qui est venu exploser avec la surenchère de certaines entreprises comme UberPOP venu des États-Unis, présent dans 74 villes du monde et proposant un service de « covoiturage de proximité ».
    La tendance inquiète aussi d’ailleurs la SNCF qui s’est depuis mise à l’heure du covoiturage en rachetant 100 % de GreenCove Ingénierie et Ecolutis, confirmant sa présence sur ce marché. Elle faisait suite aux ouvertures depuis déjà 6 ans par Castorama ou Ikea, d’un service de covoiturage entre particuliers souhaitant faire leurs courses chez ces enseignes.
    Autre cas, le vélo en libre-service (ou vélopartage) au succès incontestable. Basé sur un principe de mise à disposition auprès de n’importe quel type d’usager (habitants, touristes…) d’un parc commun de vélo, il s’est cependant retrouvé fragilisé en faisant l’objet de vandalisme très important à Paris, au point d’inquiéter sérieusement la société Decaux qui les gère. Il est amusant de noter là encore, qu’un an avant Londres, le Vélib parisien succédait lui-même au Vélostar à Rennes qui fut la première ville au monde à accueillir en 1998 un système de vélopartage informatisé. L’engouement n’est d’ailleurs pas généralisé, certaines villes y semblant encore réticentes comme à Nice, ou à Madrid qui a renoncé à MyBici en 2011 pour des raisons d’austérité.

     Disons-le clairement, on méconnaît encore beaucoup aujourd’hui les pratiques des usagers. Les rares données disponibles sont soit issues d’enquêtes ou de sondages sur des échantillons faiblement représentatifs, soit menées à partir des sites d’offre en ligne, du nombre d’inscrits et de parcours proposés, ce qui ne rend pas compte de ce qui se passe à côté. Par exemple, lorsque des usagers entrent en contact sur Internet, ils en disparaissent une fois accordés sur un trajet régulier.
    La part exacte du covoiturage reste donc difficile à évaluer. Il consiste à utiliser une voiture pour plusieurs personnes effectuant le même trajet, en dehors du contexte familial, de manière régulière ou occasionnelle, et présente l’avantage de réduire le coût du trajet pour tous. Les canaux de diffusion des annonces sont multiples : boucheà- oreille, petites annonces, site Internet. En général, pour le covoiturage entre particuliers à partir d’un site, chaque passager paie le conducteur du véhicule pour un trajet donné, une partie de la somme revenant au site jouant le rôle d’intermédiaire. Le leader français du secteur Blablacar revendique plus de 6 millions de membres.
    Le covoiturage présente un intérêt incontestable : 4 centimes par voyageur au kilomètre contre 6 pour la voiture et 11 pour le train. Pour les plus faibles distances (inférieures à 50 km), même organisé sur Internet, le covoiturage en reste encore aujourd’hui à un stade rudimentaire, représentant au mieux 4 % des déplacements pendulaires. Dans nombre de cas, le covoiturage émerge autour de sites « sauvages » qui seront ensuite aménagés par les collectivités en « aires de covoiturage ». Certaines sociétés commerciales acceptent de libérer des emprises de parking pour permettre à des covoitureurs d’y stationner. Mais face à l’ampleur du phénomène, d’autres y sont à l’inverse désormais farouchement opposées.

     Plus intéressant encore, et improprement qualifié de « spontané », le covoiturage dynamique représente quant à lui une petite révolution, décentralisée, un peu sur le mode du peer to peer. En s’appuyant sur un réseau mobile 3G performant, sur une géolocalisation GPS, il permet à des particuliers de connaître en temps réel l’offre de covoiturage disponible à proximité, et de faire remonter la demande. Enfin, les usagers eux-mêmes (voire des associations) organisent leur propre autopartage, mettant à la disposition d’autres habitants, un ou plusieurs véhicules. Un groupe d’autopartage peut ainsi se constituer spontanément entre des particuliers ou à partir d'un service dédié de mise à disposition de véhicules : certains résidents louent la semaine une voiture qu’ils n’utilisent que le week-end. De manière plus formalisée, des associations proposent aussi, moyennant un abonnement, un véhicule « autopartagé » pour une durée et un usage particulier. L’autopartage est le plus adapté aux contextes urbains, les stations de location étant proches des stations de transport en commun. Il permet aussi, en périphérie, de servir de système d’appoint permettant de sortir de la bimotorisation. Sa principale variante est l’auto-sociale, un dispositif de prêt de véhicule pour quelques mois, consenti par des associations en coordination avec Pôle emploi, et destiné à faciliter l’accès à la mobilité des personnes à faibles ressources, un secteur où intervient notamment le Fonds de dotation Renault.

     Il est certain que les nouvelles mobilités constituent un enjeu majeur des politiques locales, bien que leurs marges de manoeuvre soient de plus en plus contraintes. En témoigne par exemple cette inflexion intervenue dans la stratégie de mobilité du Grand Lyon, qui affiche comme axe stratégique non plus la réalisation de nouvelles lignes ou rocades (faute de financement), mais un actif soutien au covoiturage. Peut-être faut-il y voir une forme de report d’une mission de service public sur les initiatives des habitants.
    Au-delà du soutien local au covoiturage, à la rationalisation des aires à la fois rendues accessibles aux mobilités actives et situées à proximité des centralités secondaires (commerciales, gares…), le troisième enjeu se situe aussi sur le passage à un autre stade de mobilité urbaine dans les centres des agglomérations, comme des petites villes. Sur ce plan, tout reste à faire, en France où l’épisode ZAPA (Zones d’actions prioritaires pour l’air) reste pour le moment sans suite, en raison notamment de la pression du lobby automobile. Ces zones, mises en place à l’occasion du Grenelle 2 de l’environnement, devaient constituer une application des Low emission zones (LEZ) présentes dans la plupart des pays européens, à l’image de l’Italie, où les Zones de trafic limité (ZTL) restreignent l’accès au centre dans un très grand nombre de villes, dont certaines de petite taille. Le principe consiste à mettre à disposition des résidents de ces zones un badge (et non à fermer physiquement un secteur, sauf exception) leur permettant d’accéder dans les centres sans avoir à s’acquitter d’une amende autrement importante. Les détracteurs des ZAPA argumentaient sur le fait qu’elles pénalisaient les détenteurs de véhicules polluants alors que bien d’autres pays européens avaient réglé cette question soit par une mise en oeuvre pédagogique progressive (Allemagne) soit par une restriction aux véhicules utilitaires (Grande- Bretagne). Reste à sortir de ce statu quo…