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Initiatives urbaines
#32
RÉSUMÉ > C’est une aventure singulière que restituent ici enseignants et étudiants de l’École Nationale supérieure d’Architecture de Bretagne (Ensab). Dans l’esprit de l’Oulipo (OUvroir de LIttérature POtentielle), ils ont cherché à expliquer l’espace aux néophytes, en évitant le jargon professionnel réservé aux seuls initiés. Un exercice déstabilisant, mais riche d’enseignements, pour ses auteurs comme pour les lecteurs de Place Publique avec qui ils partagent ici leurs travaux.

     Écrire reste trop souvent l’activité scolaire et rébarbative de la page à remplir pour décrire ce qui a été pensé et dessiné. Le jargon architectural guette alors tout architecte, qui pourtant s’adresse régulièrement à des maîtres d’ouvrage non professionnels.
    Pouvoir expliquer de façon simple l’espace à sa grandmère devient une urgence, une nécessité, une force aussi. Sans oublier que vouloir « écrire le projet » permet de fluidifier le processus de conception, de se dégager du dessin pour une réflexion et une analyse décentrées. J'ai alors proposé aux étudiants une façon différente d’aborder le projet d’architecture et d’urbanisme par le biais d’un jeu d’écriture dans le cadre du déroulement habituel d’un atelier de projet.
    La collaboration avec l’OuLiPo – Ouvroir de Littérature Potentielle – par l’intervention de Marcel Bénabou, secrétaire définitivement provisoire, a encouragé la désinhibition face à la page blanche, le plaisir face au défi de la contrainte, l’exploration d’un processus différent de conception du projet.
    Nous vous présentons ici le travail effectué au 2e semestre 2014 par les étudiants de l’École Nationale d’Architecture de Bretagne au sein des ateliers de projet de Licence 2 (encadrés par Catherine Rannou et Guillaume Lenfant) et du Master MOUI (encadré par Flore Bringand et Paul-Eric Schirr-Bonnans). Ici, l’élaboration d’un texte a pu se transformer en un moment ludique, en un décentrement nécessaire au processus de conception du projet architectural et urbain, et enfin à sa communication.
Dans un premier temps, les étudiants ont découvert qu’il existe une longue tradition de jeu avec les mots, en Europe et dans le monde. Par exemple, les calligrammes de Guillaume Apollinaire (mélange de calligraphie et d'idéogramme) où les mots sont placés de façon à représenter le sens du texte. Mais aussi la carte du strip de Las Vegas par Scott Brown et Venturi ou encore les cartographies politico-financières de Mark Lombardi.
    Puis, Marcel Bénabou est venu présenter l’OuLiPo, ses fondateurs, ses intentions, son fonctionnement. Les plagiaires par anticipation tels les grands rhétoriqueurs. Les expériences des groupes OuArchPo, OuPeinPo, OuBaPo etc. Il a zoomé sur « les clous de l’Esplanade » place Charles de Gaulle à Rennes (voir Place Publique n°8 de novembre-décembre 2010), le tramway de Strasbourg. Il a également animé un exercice : l’écriture d’une « morale élémentaire », poème basé sur une structure proposée en 1974 par Raymond Queneau. Ce fut l’occasion pour les étudiants et les enseignants d’expérimenter le plaisir et la rigueur de l’écriture oulipienne.
    Les Oulipiens sont des «rats qui construisent euxmêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir». Le 24 novembre 1960, Raymond Queneau et François Le Lionnais fondaient l’Oulipo. Le principe : proposer des contraintes nouvelles et écrire les textes qui obéissent à ces contraintes. Une idée : la rigueur devient source de créativité. Depuis, une fois par mois, les oulipiens se retrouvent pour échanger textes et contraintes destinées à encourager la création.

     Dans l’atelier de licence 2, les étudiants ont arpenté le site de la Prévalaye plusieurs jours (et nuits !). Du parcours depuis la ville jusqu’au moulin d’Apigné, site d’intervention de leur futur projet d’architecture, ils ont composé un transect, couramment utilisé en botanique pour exprimer l’écologie d’un milieu en effectuant l’étude physique de la végétation par le repérage des espèces. Cette méthode est adaptée ici à l’analyse urbaine. Sur un rouleau de papier de 240 x 29,7cm, la coupe sur le terrain représente les éléments marquants rencontrés, via un protocole créé par chaque groupe, sur plusieurs milliers de mètres. Ce sont des croquis, des photographies, des collages. Avec Catherine Rannou, nous avons souhaité prolonger et enrichir l’exercice via un transect littéraire, pour permettre de ressentir et analyser le site par un autre biais. La règle du jeu était la suivante : écrire le site sans le dessiner. Le transect littéraire sera présenté avec comme seule explication orale le protocole choisi. Il pourra aussi être lu. Il respectera la forme du transect dessiné, mais avec toute liberté possible dans, sur, autour, derrière ce cadre de 240cm x 29.7cm. Son affichage sera réfléchi en rapport avec le protocole.

     Le Master MOUI (Maîtrise d’Ouvrage Urbaine et Immobilière) intègre les étudiants de l’ENSAB et de l’Université de Rennes 2. Par groupes, ils ont travaillé en atelier sur le thème RURALities/RURALcities, pour un projet questionnant l’extension urbaine des centres bourgs des communes rurales via une programmation d’habitations individuelles. Le jeu d’écriture intervient à un stade avancé du projet, quelques semaines seulement avant le rendu final.
    Il s’agit de réaffirmer les intentions, s’assurer de la cohérence entre dessin et discours en produisant un texte écrit en commun. Enrichir et clarifier la démarche de conception du projet.