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Dossier
#16
RÉSUMÉ > Des milliers et des milliers de bénévoles dans la ville. Il faut les écouter. Pour beaucoup d’entre eux, l’investissement associatif est une nécessité vitale. Il ne s’agit pas seulement de « faire quelque chose » ou de répondre à l’injonction de « se bouger », mais de participer d’une façon ou d’une autre à la vie sociale. Voici six témoignages de Rennais, retraités ou non. Avides de se réaliser dans l’associatif, pointant aussi les contraintes croissantes qui contrarient la spontanéité du bénévolat.

Martine : « Il faut que je voie des gens ! »

     « Il faut que je bouge ! Je ne suis pas faite pour rester enfermée à la maison. J’aime discuter : il faut que je voie des gens. Pour moi, c’est vital ! À la retraite, j’ai d’abord adhéré il y a quatre ans à Cesson Solidarités, une association qui collecte des vêtements et les revend à tout petits prix pour financer des projets de solidarité internationale et aider les Restos du cœur. J’y tiens une permanence deux fois par mois avec deux ou trois autres femmes. Nous trions les vêtements que nous recevons et nous accueillons les gens qui en ont besoin. Certains après-midi, la permanence ne désemplit pas ! Depuis deux ans, je suis également bénévole à l’ADMR (association d’aide à domicile) de Cesson, Chantepie et Vern. Là, c’est autre chose puisque l’association emploie 48 salariés et une douzaine de bénévoles et aide à domicile près de 450 personnes. Une fois par mois, je vais au siège préparer les relevés d’activité des aides à domicile. Je vais visiter les personnes qui demandent de l’aide afin de remplir leur dossier et, une fois par an, je rencontre certains adhérents pour voir si tout va bien. C’est l’occasion de rencontrer des personnes de tous âges et de tous milieux sociaux, de parler avec elles de leurs difficultés, de leur métier passé, de leurs familles. Il y a toujours quelque chose à apprendre de ces contacts souvent très chaleureux. J’y passe environ trois journées par mois. Notre premier problème, c’est de trouver des aides à domicile, des bénévoles pour remplir certaines fonction comme le portage des repas et de renouveler les responsables. J’ai le sentiment de rendre service tout en m’occupant. Les autres bénévoles sont devenues des amies. Nous nous rencontrons parfois dans la rue et c’est l’occasion de bavarder un peu. »

     « J’avais envie de m’engager dans la société en dehors d’un contexte professionnel. L’idée, c’était de mettre des compétences au service de la solidarité, de rencontrer de nouvelles personnes et de m’enrichir. Je me suis beaucoup investie à une époque où j’avais du temps.
     J’y pensais plusieurs fois par jour, j’y travaillais quasiment une journée et demie par semaine.
     L’engagement part vraiment de soi, il ne dépend que de soi. On y va avec tout ce que l’on est pour rencontrer des gens d’univers complètement différents, qui ont d’autres niveaux sociaux, d’autres préoccupations, d’autres cultures… C’est un enrichissement personnel qui part de soi et qui est tourné vers les autres.
     J’ai le sentiment que les associations de solidarité, d’aide aux plus démunis, compensent une défaillance de l’État. Cela entraîne pour elles une nécessité de s’organiser, de se structurer et parfois de ressembler à des micro-entreprises. Un dossier de demande de subvention, par exemple, ne peut pas être approximatif. On est conduit aussi à avoir des relations de plus ou en plus professionnelles pour trouver des partenaires et les convaincre de s’associer à nos projets. Nous devons rendre des comptes à nos financeurs…
     C’est très troublant parce que ce qui était au départ une relation de compagnonnage entre gens de bonne volonté peut se transformer en relation de travail. Ça me chiffonne beaucoup. Comment peut-on demander à des gens d’être si engagés, alors qu’ils cherchaient au départ à évoluer dans un univers étranger aux contraintes et aux pressions professionnelles ? Le bénévolat d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui d’il y a dix ou quinze ans.
     On sent que les bénévoles sont très perturbés par cette question : comment maintenir une différence, une frontière entre le bénévolat et ce qui pourrait devenir une activité qui aurait toutes les caractéristiques d’un métier. Des bénévoles sont déçus parce qu’ils étaient prêts à donner une demi-journée de temps en temps et qu’ils se voient imposer des tas de contraintes. Ce qui partait d’eux, très spontanément, leur est renvoyé sous forme d’exigences, d’obligations. Alors, ils s’en vont, déçus. Ils « zappent » d’une association à l’autre. Ils n’ont plus de fidélité à une idée.
     On pourrait se demander s’il n’y a pas de différence de nature entre, par exemple, une association de pêcheurs à la ligne qui organise une fête annuelle et une association qui gère des centaines de milliers d’euros pour distribuer tous les jours des repas aux plus démunis. Est-il pertinent que ces deux associations aient le même statut et dépendent de la même loi de 1901 ? Je n’ai pas la réponse. Mais je sens un malaise »

Michel : « Si je m’arrête, je suis mort ! »

     « Ce qui me pousse à être bénévole, c’est de pouvoir me rendre utile et d’avoir le sentiment de rendre service dans des domaines qui comportent des valeurs que je souhaite voir vivre et développer. Ça me prend environ trois jours par semaine. Au point où j’en suis de mes différents engagements, c’est un maximum. À l’âge que j’ai, je souhaiterais profiter un peu de mon temps libre avec mon épouse et ma famille, profiter de la vie, prendre soin de moi.
     Je ne suis pas inquiet pour l’avenir du bénévolat. C’est peut-être lié à mon milieu de travail et de vie, mais parmi les gens que je côtoie, je vois de plus en plus de bénévoles dans tous les domaines. Certes, j’ai connu des bénévoles qui papillonnent, qui vont d’activités en activités… Un bénévole qui ne s’engage pas ne reste pas longtemps : il n’accroche pas. Il se condamne à ne pas rentrer dans le corps des choses.
     Faut-il se préparer avant son départ à la retraite ou peut-on s’engager après son départ ? Je suis un peu partagé. C’est bien d’y aller quand on est plus libre car ça permet de s’ouvrir de nouveaux horizons mais si on veut prendre des responsabilités, il vaut mieux être opérationnel rapidement. S’il faut tout découvrir quand on arrive à la retraite, on risque de vieillir vite ! On n’a de perspective que dynapour dix ou quinze ans car les bénévoles s’arrêtent vers les 75 ans quand même. Après on est obligé de penser plus à soi ne serait-ce que pour des raisons de santé.
     Non, je n’ai pas l’intention d’arrêter ni même de ralentir. Si j’arrête, je suis mort ! Je ne partirai que si on ne veut plus de moi mais ça me coûtera de ne plus avoir la preuve de mon utilité. Oui, c’est du narcissisme ! On agit d’abord pour soi. Il ne faut pas se raconter d’histoires, on agit parce qu’on a de profondes envies de réaliser des choses qui permettent de s’épanouir, d’avoir de l’estime de soi. Si les autres en profitent, tant mieux. Il y a là une dynamique ! »

Josette : « J’ai gardé des relations sociales »

     « Quelque temps avant ma retraite, j’ai essayé d’imaginer comment j’occuperai mon temps. Un hasard m’a fait connaître une association qui oeuvrait près du tribunal d’instance. J’ai sauté sur l’occasion car cette activité prolongeait mon métier dans la banque. Mais progressivement, j’ai eu plus de temps libre car la ministre a décidé que ce travail ne serait plus confié à des bénévoles. Je garde seulement les dossiers que j’avais ouverts auprès de personnes âgées qui disparaissent fatalement peu à peu. Je me suis alors tournée vers une autre association.
     Ça m’apporte de quoi utiliser mon temps au service des autres. J’ai gardé des relations sociales et des activités intellectuelles, dans le droit, la fiscalité, en relation avec mon métier. On apprend toujours des choses. Et puis j’aime les associations où l’on n’est pas isolé, où on partage avec tout le monde. Un bénévole va souvent plus loin que des professionnels. On peut nouer des liens personnels, affectifs avec les personnes que nous aidons : boire un café, partager un gâteau, se raconter les choses de la vie, ce n’est pas productif pour un cabinet privé !
     Le bénévolat ne coûte rien ni à nous, ni aux personnes qu’on accompagne. Les relations entre bénévoles et salariés dans une même association peuvent être un peu plus compliquées : il y risque de confusion entre les rôles de chacun. J’ai compris que les bénévoles doivent rester à leur place. Je continuerai aussi longtemps que je le pourrai. J’ai besoin d’être occupée, de sortir du traintrain, d’être utile. »

Gérard : « Je fais avec d’autres ce qui m’intéresse »

     « Il y a vingt-cinq ans que j’ai adhéré à l’association des amis du musée de Bretagne1. J’étais très intéressé alors par la rénovation du musée et son inscription dans une réflexion sociale et historique. Je connaissais par ailleurs son conservateur, Jean-Yves Vieillard, qui m’avait sollicité pour étoffer l’association, créée en 1980. Très vite et sans le vouloir vraiment, je suis devenu secrétaire de l’association, puis président pendant un temps. Avec le recul, ça m’a apporté une meilleure connaissance du monde des musées, des relations fécondes avec les gens de cette institution avec qui j’ai partagé des savoirs communs (j’étais prof’ d’histoire-géo), et puis des liens amicaux, conviviaux avec les membres de l’association. Le souci des autres, ça peut être une tarte à la crème, mais pour moi ça ne l’est pas ! Une association ne se construit que par la volonté de ses adhérents. Dans un musée de société, ça serait un comble que l’on n’ait pas le souci des hommes et des femmes !
     Je suis aussi membre du comité de balisage des chemins de grande randonnée et président de la chorale de Vern. Une fois que j’ai mis le doigt, j’ai un à peu de mal à ne pas m’engager plus loin, à ne pas contribuer au fonctionnement collectif. C’est très présent chez moi. Il y a des gens qui en veulent moins et c’est leur droit. Mais il faut penser à la pérennité des associations. Chez moi, l’engagement est un plaisir. Je suis occupé une bonne partie de la semaine. J’ai mes propres contraintes que j’ai choisies. Je considère donc que c’est du temps pour moi : je fais avec d’autres ce qui m’intéresse.
     L’évolution ? Le bénévolat est de plus en plus encadré par des règles, des normes de sécurité, des contraintes financières. C’est un peu contraire à sa nature de démarche volontaire, libre, gratuite, disponible, ce qui ne veut pas dire qu’une association puisse faire n’importe quoi. La professionnalisation ? Oui, mais à condition d’insister aussi sur les qualités de la non-professionnalisation, sur la liberté de conduire des projets ensemble.
     J’entends souvent vanter la vitalité de la vie associative. Ce qui la menace, c’est peut-être la pénétration de l’esprit de consommation. D’un côté, des équipes dynamiques ; de l’autre des consommateurs qui profitent mais ne s’engagent pas, qui ont une faible aptitude à faire des propositions, à prendre en charge une partie ce dont ils bénéficient. Il y a une sorte de dérive vers des services à la personne. La vision militante disparaît un peu… »

Bernard : « Une expérience formidable !

     « J’ai 62 ans. Je suis engagé dans plusieurs associations. Alors que j’étais en activité, j’ai présidé pendant six ans une association de solidarité internationale dont je suis toujours vice-président et je me suis engagé à l’Espace des sciences : j’en suis administrateur et membre du comité de lecture de sa revue. Après mon départ à la retraite, je suis devenu également administrateur des Amitiés sociales qui gèrent les quatre foyers des jeunes travailleurs de Rennes et je suis par ailleurs adhérent des Amis du musée de Bretagne et l’écomusée de la Bintinais et de la Société des amis du musée des Beaux-arts. Je ne cache pas que j’ai choisi ces engagements par intérêt : ces associations travaillent dans des secteurs vers lesquels j’ai toujours été porté par passion ou par curiosité. La retraite venue, il me fallait aussi trouver des substituts à une vie professionnelle qui fut très prenante. J’ai trouvé dans la vie associative le moyen de conserver un agenda plutôt bien garni, de garder une vie sociale active, pleine de contacts et de relations, et de travailler à des activités qui me plaisent. Comme tous les autres bénévoles, j’essaie d’y apporter quelques compétences que je trouvais dommage de laisser inexploitées. Mais je reçois également beaucoup : rencontres parfois inattendues qui ne sont plus polluées par des contraintes de temps, échanges où l’on découvre des personnes étonnantes de richesse, contacts avec des étrangers qui s’affrontent à des difficultés autrement plus graves que les nôtres, amitiés tissées à travers le monde, du Viet Nam à Madagascar, avec des journalistes que notre association a pu aider. J’ai appris également à gérer une association, à rechercher des financements, à présenter des projets, à suivre leur évolution et à en rendre compte. C’est une expérience formidable que celle de l’action collective ! »