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Dossier
#12
Pêche, tram, guinguettes et canotage : les beaux jours de Cesson
RÉSUMÉ > Ils sont cinq autour de la table, au siège de l’association « Cesson Mémoire et Patrimoine », dans une salle du manoir de Bourgchevreuil encombrée de panneaux d’exposition et de rayonnages où sont rangés les bulletins et les archives de l’association. La Vilaine, le tram, la pêche, le canotage… En présence de Jean-Pierre Bréau, président de Mémoire et Patrimoine, Joseph Pé- lerin, Berthe et Emmanuel Tuloup, Paulette Demay, se souviennent des beaux jours d’avant-guerre, des parties de pêche, du canotage, des guinguettes où l’on venait déguster des escargots «  petits-gris  » qu’une confrérie tente de remettre à la mode.

Emmanuel Tuloup > « Le dimanche matin, les pêcheurs arrivaient à vélo vers 4 h avec leurs paquets de gaules. Ils passaient devant chez nous, à La Hirellerie (aujourd’hui Le Clos Champel) pour se rendre au Pont-Briand et au moulin de Sévigné. Ils avaient encore plus d’un kilomètre à faire, dans la campagne. Ils venaient de bonne heure pour avoir les bonnes places au bord de la rivière, entre deux arbres si possible. Un ou deux couchaient même chez nous la veille au soir pour être rendus de bonne heure à la rivière. Ils se levaient à 3 h. Les bouteilles de cidre étaient pleines pour partir. »
JOSEPH PÉLERIN > « En face de l’hôtel Ibis de la Rigourdière, un chemin partait vers la rivière. Un passage à niveau, et c’était le Pont Briand et plus loin le Vault-Martin ».
BERTHE TULOUP > « Les femmes arrivaient plus tard par le tram avec leurs paniers chargés de victuailles pour le pique-nique ».
EMMANUEL > « Elles s’arrêtaient au café remplir de petites bouteilles d’apéritif. Le soir, les bouteilles vidées, ils rentraient tous à pied, bras-dessus bras-dessous, en chantant.
BERTHE > « Ils avaient nettoyé le poisson dans la rivière ».
EMMANUEL > « Et parfois, ils le faisaient frire en repassant chez nous. En ce temps-là, il y avait du poisson et du bon ».
JOSEPH > « Du monde? Ah oui, il y avait du monde! À l’époque, on venait aux Vêpres le dimanche. Quand on en revenait à vélo, il fallait mettre pied à terre pour traverser la foule! C’était comme à la braderie! »
BERTHE > « Tous les Rennais connaissaient Cesson! C’était vraiment la fête. Au bord de l’eau, rien n’était clôturé. On s’installait dans les prairies. Avant l’ouverture de la pêche, mon père coupait le foin pour laisser l’accès à la rivière. Les gens respectaient ça. Un jour, une infirmière de Rennes dit à ma mère : « Vous êtes de Cesson ? Comme vous en avez de la chance » »!
JOSEPH > « Après la guerre, ça n’a pas repris. Les cultivateurs ont clos les prairies, mis du fil barbelé. Les gens n’avaient plus l’accès. Déjà, en 1936, ça s’est dégradé. Les menaces de guerre… La crise financière… »
EMMANUEL > « Les ouvriers n’étaient pas faciles à cette époque. Ils montaient à la pêche en vélo. Ils criaient « À bas les patrons ! », « À bas les commerçants ! ». Les gens avaient peur. »

JOSEPH > « Lorsque le chemin de fer est arrivé à Rennes, Cesson a demandé une gare. On en a discuté pendant une quarantaine d’années, de 1857 jusqu’en 1899. Un coup c’était oui, un coup c’était non. Pour finir, il y eût des discussions pour allonger jusqu’à Cesson la ligne de tramway qui s’arrêtait à l’octroi du faubourg de Paris (au carrefour des boulevard de Metz et de Strasbourg). La ligne fut inaugurée le 23 juin 1907 en présence d’une foule évaluée à dix mille personnes par l’Ouest-Eclair. C’était un tramway électrique qui s’alimentait à un câble aérien grâce à une « perche » que l’on appelait « trolley ». Le plus souvent, il n’y avait qu’une voiture d’une trentaine de places. Le samedi et le dimanche, on y attelait une baladeuse, parfois deux, qu’on appelait aussi des « buffalos ». C’était des voitures ouvertes, juste fermées par des rideaux pour éviter la poussière du chemin. Le tram s’arrêtait à l’asile de Saint-Méen (hôpital psychiatrique), La Piletière (avenue du Général Leclerc), Tournebride, Bel- Air et au bas de la Hublais. Le terminus se trouvait à l’entrée du bourg, à hauteur du 58, cours de la Vilaine. Le tram faisait dix allers-retours quotidiens en hiver et quinze en été. Cesson, qui ne devint Cesson-Sévigné qu’en 1921, avait alors 2 500 habitants. »
BERTHE > « Un jour, je perds mon chapeau à Tournebride. Il m’attendait à l’arrivée à Cesson. Quelqu’un qui suivait le tram à vélo l’avait ramassé ».
PAULETTE DEMAY >: « Voici ce qu’a écrit l’une de mes voisines: « Comme la marche ne nous faisait pas peur, c’est d’un pas alerte que nous nous dirigions, dans la banlieue rennaise, vers un lieu dénommé Buttes de Coësmes. Au printemps, le sol était recouvert de clochettes bleues, de primevères, cela nous donnait l’occasion de faire de jolis bouquets. Nous poursuivions notre route après avoir prestement gravi les Buttes et nous arrivions au petit bourg de Cesson. Comme ma mère était très pieuse, nous allions faire une prière à l’église. Puis, pour nous réconforter, nous nous arrêtions au petit café situé à l’angle de la rue principale et de la place de l’église (Blot). Après nous reprenions la route en traînant un peu la jambe. Nous nous dirigions alors vers le tramway. Cela représentait une bonne distance pour nos petites jambes. Les baladeuses étaient très recherchées, à qui aurait la meilleure place sur la plate-forme ». »
EMMANUEL > « En 1938, le tram a été supprimé et remplacé par des cars. Ça n’était plus pareil. Ça a été le début de la fin. »

TOUS > « Au bourg, on venait le dimanche après-midi déguster des escargots et faire un tour de barque. Le restaurant le plus réputé, c’était chez Guérin-Decaze, au 48, rue du Pont de Sévigné qui deviendra le restaurant Lyaudet. C’est là que ça se passait. L’auberge de la Hublais était très cotée aussi, et puis « Chez Besnard » face à la station Total, le café Chanterelle (La Boucherie) aussi. Et puis « Chez Ida » et le café Roger (chez Edgar). Après la guerre, trois restaurants continuèrent la tradition des escargots : M. et Mme Painchault (aujourd’hui La Boucherie), M. et Mme Roger (aujourd’hui Chez Edgar), M. et Mme Gauthier (aujourd’hui La Belle Équipe)
JOSEPH > « Pratiquement tous les artisans qui avaient pignon sur rue tenaient aussi épicerie et café. Dans le bourg, il y en avait plusieurs. »
EMMANUEL > « Au Clos Champel, mon père était maréchal- ferrant, forgeron. Ma mère tenait le café à côté. »
JOSEPH > « À l’époque, il y avait vingt-deux cafés à Cesson. On vendait à boire et puis de la petite épicerie. On avait une vache ou deux, un cochon, quelques poules… Chez Roger, il y avait une quarantaine de barques qu’il entretenait lui-même. Chez Villeneuve (Le Cessonnais) il y en avait bien vingt-cinq. Et ce n’était pas toujours suffisant ».
PAULETTE > « Et quand j’étais petite fille, le soir, on prenait une barque et on allait chez le grand-père au Chêne Rond, près du village de La Valette. »
TOUS > « Il y avait aussi des lieux d’amusement: les Buttes de Coësmes (près de la tour de télécommunications), et plus près de la rivière, les Buttes de Pincepoche, les Buttes de Bray ».
BERTHE > « C’était pour les amoureux, particulièrement Pincepoche. C’était à éviter, surtout pour les filles ! »

PAULETTE > « J’ai appris à nager dans La Vilaine comme beaucoup de garçons et de filles du bourg. Notre maître- nageur était bouilleur de cru, Monsieur Forget, qu’on appelait Boulestin et qui était un grand sportif. Il a monté bénévolement des cours de natation dans la Vilaine et commencé à construire une piscine. On faisait nos exercices dans les prairies de Champagné. On avait même installé un plongeoir. Une fois par semaine, on allait en vélo à la piscine Saint-Georges pour des compétitions. Mais le curé s’y est mis. Il ne voulait pas que les gars et les filles nagent ensemble. »
JOSEPH > « À la campagne, on apprenait à nager tout seuls dans la rivière avec des copains. J’étais patou à la ferme de la Touche Ablin. Le fils de la ferme et moi, le dimanche matin, on prenait nos vélos. On venait se baigner à l’île d’Amour (en bas du dojo; l’île a été arasée). En amont, les étangs ont été creusés par l’homme, dans les années 60- 70. On en extrayait des graviers et du sable pour la rocade sud et les lotissements. Les Prés-Pourris, c’était des prairies marécageuses. On évitait d’y aller, c’était tout le temps plein d’eau. On y coupait le foin en juin-juillet.
EMMANUEL > « Il y avait chez moi une petite presse, une Garnier qui n’était pas très lourde. Elle est tombée en panne dans les prairies. On m’a dit : « Mets tes bottes ». En deux ou trois heures, c’était plein d’eau. Les moulins avaient dû lever les vannes… »

Sur l’air de La Paimpolaise

Nous connaissons ses restaurants
Ses cafés sa pâtisserie
Où chacun allant et venant
va se régaler à l’envi
On fait provision de galette à Cesson
Elle est bonne sa saucisse fraîche
Ses escargots délicieux
Quand après une partie de pêche
Chacun rentre au logis joyeux

Une rivière gracieuse
Miroite sous le feu des cieux
Et de là s’en va paresseuse
Dormir sous les chênes ombreux
Franchit un pont gris
Vieux roi de granit
Qui sommeille au-dessus de l’onde
Et de là, sans frein et sans loi,
Elle serpente et vagabonde
Parmi les prés, le long des bois
(Couplets 4 et 5 de La Cessonnaise, sur l’air de La Paimpolaise, écrite par l’abbé Jarry)