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Contributions
#17
Pour Eurorennes,
un autre scénario possible
RÉSUMÉ > Ça va bouger sérieusement du côté de la rue de l’Alma et de la gare. Ancien architecte ayant œuvré à Rennes, Joël Gautier exprime ici son point de vue et ses doutes. Pour lui, la rue de l’Alma est trop étroite pour envisager désormais une vraie belle avenue structurante. Quant à l’aménagement de la gare, contestant le projet de “colline verte”, l’architecte propose d’autres pistes.

     En 1985, questionné par un journaliste d’Ouest-France à la suite du Concours de la gare de Rennes que mon équipe avait présenté quelque temps plus tôt, j’avais proposé deux axes de réflexion:

     1 - donner à la Ville de Rennes, notamment au centre-ville, une plus grande place à la verdure;

     2 - relier la Zup Sud au boulevard de la Liberté entre le boulevard Clémenceau et la Place du Champ de Mars, par une large avenue structurante en donnant à cet axe l’ampleur qu’il mérite.

     Qu’en est-il 25 années plus tard ? Selon nous, le centre- ville est toujours aussi minéral. Quand à la réalisation de l’avenue de l’Alma, elle pourrait être compromise par le manque de largeur.
     En effet, les bâtiments récemment construits sur le côté ouest de la rue de l’Alma sont situés en limite de l’espace public. Il sera donc difficile de donner à cette voie, sauf éventuellement à la désaxer par rapport à l’avenue Henri-Fréville, le gabarit nécessaire et suffisant pour qu’elle devienne une véritable avenue avec voie de circulation à double sens, allée et contre-allée, plantée d’arbres à grand développement, voie réservée au transport en commun en site propre, espace « vélos » et trottoirs larges et agréables pour les passants… Une rue, une avenue, un boulevard ont une écriture, une dimension, un profil spécifique. L’un ou l’une n’est pas l’autre.

     Même si l’équilibre financier d’une opération dépend en grande partie de la capacité constructible d’un terrain, une collectivité se doit, pour des lieux majeurs, de réduire l’espace vendable au profit de l’espace public, quitte, dans ce cas, à permettre une plus grande hauteur pour les immeubles. Le long d’une avenue, il est souhaitable, quelque soit son architecture, qu’un bâtiment ait une assise d’une hauteur suffisante pour donner de l’ampleur à sa façade ainsi qu’un cadrage adapté à la largeur de l’avenue le long de laquelle il s’inscrit. Même si la qualité de l’écriture architecturale des nouvelles opérations est indéniable, ce rapport n’est pas respecté. Ceci n’est pas seulement un problème d’architecture mais de directives urbanistiques.
     Sans doute la prison des femmes, en bordure de l’actuelle rue de l’Alma, pose un problème de maîtrise foncière et son mur de clôture perturbe le tracé de la future voie. Cette centrale est régie, sur le plan réglementaire, par un texte du 19e siècle très contraignant sur le plan urbanistique. Mais rien n’interdit d’envisager, qu’au cours des prochaines années, ce règlement évolue. Que la prison soit déplacée. Son site et ses bâtiments pourraient alors devenir un lieu dévolu, par exemple, à la recherche et à la communication dans le domaine des « Sciences et Techniques ». Un « La Villette breton » comme cela avait été envisagé il y a 50 ans. En bordure d’un tel programme, la présence d’une belle et large avenue serait alors d’autant plus appréciée.

Eurorennes : tenir compte des projets antérieurs

     L’analyse de la future opération Eurorennes montre des problèmes majeurs d’articulation urbaine et des difficultés de connexion nord-sud au droit de la gare et du pont de l’Alma. Pour ne s’intéresser qu’à la gare et à sa situation, comment se fait-il que l’équipe d’architectes – urbanistes, dont la compétence est reconnue, n’ait pas eu connaissance des projets du concours de la Gare de Rennes de 1985 ? L’analyse historique de la transformation d’une ville et la connaissance des projets, qu’ils aient été ou non réalisés, sont des éléments-clef dans la démarche. Rappelons le croquis de Louis Arretche daté de 1960 qui proposait, dans l’axe de l’avenue Janvier, de construire une tour-signal de grande hauteur.
     La ville n’est pas que fonctionnelle. Elle est aussi composée de lieux majeurs qui lui donnent sa qualité spatiale et urbaine. Ces espaces mettent en valeur les monuments ou les bâtiments publics qui sont les repères et la mémoire d’une ville. Il en est de même pour les parvis d’édifices tels qu’une gare, dont la fonction est primordiale dans l’espace public.

Et si la colline verte était une erreur

     Et si pour des raisons de dimensionnement, de composition urbaine ou de fonctionnalité, le projet d’espace vert franchissant la gare, tel qu’envisagé actuellement, n’était pas possible ni même souhaitable. Et, si la « colline verte » s’avérait structurellement et financièrement une erreur ou même une simple utopie, sans raison d’être dans ce contexte urbain. Arrivant à la gare par l’avenue Janvier, n’allons-nous pas avoir l’impression d’un mur vert donnant l’effet d’une barrière difficilement franchissable. La « colline verte » prendra une telle importance, que la gare sera oubliée entraînant une perte de repère. L’entrée dans une gare ne peut-être qu’une simple trémie aussi généreuse soit-elle.
     Envisageons, par exemple, de réaliser, côté ouest du bâtiment « gare », au-dessus des voies SNCF, une grande place réservée aux taxis, transports en commun et « dépose- minute », place directement reliée à la future avenue de l’Alma, avec peut-être des passages en trémie pour gérer les problèmes de croisements. Cette proposition laisserait toute latitude pour la transformation et la requalification des places nord et sud actuelles. Elle clarifierait la lecture et l’organisation du « système transport » lié à une gare en centre-ville, situation qui pose toujours le problème de la « barrière à franchir ».

Plutot un immense parapluie transparent

     L’accès à la gare serait direct. Les accès aux quais pourraient se faire par des « quais hauts » en doublant voire quadruplant les escalators vers les « quais bas ». L’ensemble, place et quais, pourrait être couvert par un immense parapluie transparent, une sorte de canopée flottant au dessus de l’acrotère de la gare actuelle et donnant une grande légèreté à cet espace urbain majeur.
     Pour les piétons, cyclistes et personnes à mobilité réduite, l’accès à la place haute et à la rue de Châtillon se ferait côté boulevard Magenta par escaliers, escalators et rampes douces. L’idée de traverser le « bâtiment-gare » pour les piétons et les vélos n’est, en effet, pas envisageable à tout moment de la journée comme on peut le constater à la gare Eura-Lille qui est fermée chaque jour entre 24 h et 5 h du matin, le seul passage possible étant alors le pont Le Corbusier qui de nuit, surtout l’hiver, est inhospitalier.
     Ce schéma permettrait de désengorger la place nord actuelle et diminuerait les accès voitures côté rue de Châtillon. De plus il ouvrirait le secteur situé au nord de la prison des femmes à une organisation urbaine moins contraignante que dans le projet actuel.

     Cette organisation des flux correspondrait à l’évolution de la liaison SNCF entre Rennes et Paris. L’arrivée prochaine de la ligne à grande vitesse (LGV) permettra de relier les deux villes en un temps relativement court, moins d’une heure et demi. L’usager souhaitera alors un système efficace et rapide pour passer de l’espace urbain à l’espace ferroviaire. Chaque jour près de 120 000 personnes transiteront par la gare. Il faudra gérer ces flux aux heures de pointe, sachant, de plus, que la vente de billets ne sera plus nécessaire puisque ceux-ci seront délivrés soit électroniquement soit par abonnement.
     Nous ne sommes plus au 19e siècle quand les gares étaient un espace de représentation. Elles ne doivent pas non plus être un espace commercial. L’espace-gare devra ressembler à une grande station de métro aérienne, comme nous l’envisagions déjà en 1985, il y a plus de 25 ans, dans notre proposition pour la future gare de Rennes.

     L’opération Eurorennes aura une grande incidence sur les quartiers environnants et notamment le quartier du Colombier. Ce secteur, véritable ville dans la ville, quartier refermé sur lui-même devra s’ouvrir vers le sud. Son pôle commercial attractif et très animé devra être relié à Eurorennes, sans doute en modifiant son schéma de fonctionnement actuel. Que l’arrière devienne un devant. Que la « Dalle » se transforme en une « place » dont l’écriture sera valorisée pour lui donner la qualité urbaine à laquelle aspire ce parvis du Centre Commercial Colombia. Le Schéma Urbain pour le quartier du Colombier, en cours d’étude et dont l’approbation par la municipalité devrait avoir lieu courant 2012, devra, bien évidemment, tenir compte du projet Eurorennes et viceversa.
     Le projet Eurorennes et son environnement conditionne l’avenir de ce secteur sud du centre-ville de Rennes pour les trente à cinquante années à venir. Il demande donc des choix stratégiques, pertinents et efficaces, dont le concept de base soit évident et clair sans céder à la mode du moment.