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Initiatives urbaines
#29
RÉSUMÉ > Marc Dumont est maître de conférences en aménagement urbain. Il est membre du laboratoire Eso-Rennes (Université de Rennes 2) et du Laboratoire LAUA (Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes). Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. Il partage sa veille des innovations urbaines, insolites, amusantes et instructives, ici et ailleurs.

     Si Google règne presque sans partage sur l’univers de la recherche d’informations sur le Web, la firme californienne s’intéresse aussi de près aux nouveaux enjeux urbains. Google planche en effet intensivement ces derniers mois sur le modèle d’une voiture sans conducteur qui pourrait bien révolutionner l’avenir de la mobilité. Mais elle souhaite également prendre toute sa place dans l’aménagement et la gestion des villes, à commencer par celle de San Francisco, suscitant un vent de fronde parmi les habitants. Ces derniers mois, la firme y a développé ses propres lignes de bus (200 au total) de manière spontanée, sans réseau de points d’arrêts définis (au grand dam des automobilistes et cyclistes). Elle a aussi progressivement fait l’acquisition par le biais d’emplacements publicitaires de la plupart des systèmes intelligents de gestion et de contrôle de la ville, d’où une autre crainte de la voir se transformer en véritable Big Brother local (lire à ce sujet le dossier de ce numéro). À cela, il faut ajouter une tendance plus profonde de gentrification que vient conforter sa présence croissante dans cette ville : sous l’effet d’appel d’emplois très qualifiés, les secteurs urbains centraux de San Francisco font aujourd’hui l’objet de programmes de requalification, précédés d’un nombre conséquent d’expulsions de populations pauvres. En réaction, les mouvements urbains de protestation, Indybay ou The Counterforce se sont constitués et manifestent régulièrement, bloquant les bus ou se rassemblant devant les logements de certains ingénieurs. En réponse, l’entreprise mondiale met désormais à disposition de ses employés un bateau et fait garder ses arrêts de bus – maintenant en partie régulés par la municipalité – par des agents de sécurité. De quoi laisser songeur sur l’avenir urbain de villes passées sous l’emprise des firmes privées…

     En Suisse, une intéressante opération en plein redémarrage mérite d’être suivie. La ville de Neuchâtel, qui avait accueilli la grande exposition nationale suisse « Expo.02 » en 2002, n’avait pas réellement donné de nouvelle vie à tous les établissements, infrastructures et autres réalisations impliqués par cet événement. Sur place, les vestiges ponctuels en béton apparaissent comme les traces, pour certaines laissées intactes, de cette exposition. Tout récemment, la municipalité s’est à nouveau penchée sur le cas du site des Jeunes-Rives, un parc un peu en friche situé entre le lac de Neuchâtel et le centre. La raison ? Le travail d’un bureau d’architectes local, Frundgallina, qui a enfin réussi à les convaincre d’aller au-delà des seules réflexions dont le site faisait l’objet depuis des années, autour d’un projet dénommé « Ring ». L’astuce ? Plutôt que de présenter un projet de requalification de ce magnifique espace de près de 6 hectares, ponctué par les « arteplages » (ces salles d’exposition créées spécialement pour l’occasion), le cabinet d’architecture a cette fois présenté des idées à soumettre à une démarche participative et interactive. Tous les précédents projets avaient en effet échoué sur des vagues d’oppositions scellées par des votations locales. Désormais, plages, sables, pontons et gradins sont au menu, avec trois restaurants belvédères avec des espaces plantés et des jeux. Si la stratégie de l’équipe d’architectes soutenue par la municipalité s’avère aussi payante, c’est parce qu’elle a également intégré une réflexion d’ensemble portant sur le lien du site avec le centre de la ville. Elle propose ainsi d’y développer un nouveau grand centre commercial. La participation sera appuyée sur la CEAT, équivalent des instituts d’urbanisme et d’aménagement en Suisse.

     Nous avons déjà évoqué ici le tramway luxueux de Dubaï, avec ses classes exceptionnelles, ses accessoires en or (voir Projets urbains N° 28, p. 158). Ce moyen de transport, revenu dans les villes françaises, n’est pas réservé aux villes les plus riches et les mieux organisées et s’implante aussi en Afrique. Ainsi, Addis-Abeba, haut lieu de la diplomatie en Afrique – grande métropole dont l’ONU prévoit qu’elle accueillera 12 millions d’habitants d’ici 2027 – vient de lancer son propre projet de tram, sur le modèle du train urbain. Près de 20 km de lignes sont en cours de réalisation le long des vastes avenues de la capitale dont le premier tronçon vient à peine d’être inauguré. Le projet, qui a contracté pour son financement avec un opérateur chinois impliqué à près de 90 % du budget des 475 millions de dollars, intervient dans un contexte urbain de forte désorganisation. Les autorités parient donc sur l’effet de régulation par l’équipement (réduire les bouchons, changer les comportements des taxis, relier les quartiers périphériques informels…), et sur sa capacité à prouver à la nation que la métropole n’est pas pauvre et peut s’engager dans des projets conséquents. Le partenariat avec les chinois est double : en plus des fonds prêtés, la Chine fournit également près d’un quart de la main-d’oeuvre nécessaire. À noter que les entreprises ne s’embarrassent pas tellement des contraintes d’insertion urbaine, de normes sonores des chantiers, et des nombreux effets collatéraux sur les riverains, ce qui leur permet d’annoncer le bouclage de ces deux premières lignes d’ici 3 ans ! Reste à déterminer si la mobilité était le dossier à traiter en priorité dans un pays où une très large majorité de la population vit dans des bidonvilles et résidences précaires.

     Le numérique a bonne presse à Songdo, en Corée du Sud, ville nouvelle située à une cinquantaine de kilomètres de Séoul et appelée à devenir, d’après ses institutions et la firme américaine Cisco, le laboratoire de la ville hyperconnectée de demain. Les perspectives ouvertes sont surprenantes : un mur d’écran LCD, des caméras de sécurité implantées sur des centaines de sites différents, des capteurs et avertisseurs de pollution, une foule de tablettes tactiles permettant à tout instant en ville de piloter à distance les appareils de son domicile… Le géant informatique Cisco a donc rivalisé d’ingéniosité pour convaincre avec succès les partenaires internationaux – tout en s’associant avec les autorités du pays. Le résultat ressemble pour le moment à un gigantesque centre commercial international, créé dans la ville, et accueillant, à grand renfort de stratégies marketing et de lobbying, un campus de 500 millions de dollars articulé autour d’un immense auditorium en forme de toupie. Le site a d’ailleurs raflé au passage la mise du Fonds vert pour le climat de l’ONU. Six universités sont en cours d’accueil, dont l’une européenne. La réalisation est d’initiative publique, et basée sur un plan stratégique minimaliste encadrant une FEZ (Free Economic Zone), une zone économie spéciale, à Inchenon, mais l’opérateur principal du projet reste bien la firme Cisco. Autour des technologies et des biotechnologies, ainsi que d’équipements touristiques, le complexe scientifique et industriel en cours de réalisation vise à produire un télé-citadin nouveau, hyperconnecté, et surtout hypercontrôlé, les autorités ne semblant pas avoir d’états d’âme à l’idée de laisser contrôler l’ensemble des données concernant le futur million d’habitants attendus dans la ville, par une seule et unique firme privée.

Ça bouge, dans la mobilité collective urbaine !

     Les opérateurs de transport en commun ont de quoi être nerveux ces derniers temps. Dans la concurrence qui oppose les bus à haut niveau de service (BHNS) aux tramways pour la reconquête des parts de marché de la mobilité collective dans les espaces urbains, le groupe Bolloré a fait souffler un petit vent de panique. Celui-ci vient d’annoncer avec un plan marketing bien rodé, la construction dans son fief breton d’Ergué-Gaberic (Finistère) des rames de son futur système de transport hybride de tramway et de bus, mais sans fils et sans rail : le « tramway électrique à supercapacité ». L’opérateur argumente que les tramways coûtent fort cher (ce qui est vrai) et prennent du temps à réaliser tout en nécessitant d’interminables autorisations (ce qui l’est encore plus). Le prototype de l’engin, sorte de tramway très low-cost, affiche un équipement avec un système de propulsion électrique avec des super-condensateurs stockant une énergie suffisante pour parcourir deux stations, le véhicule se rechargeant à chaque arrêt. Côté coût, les chiffres sont imparables : 10 millions d’euros le km contre 200 pour le tramway, le choix pourrait être vite fait pour des petites collectivités ! Et les seuls travaux impliqués sont ceux des terrassements des stations. Pour le moment, le marché semble plutôt se profiler à l’étranger (Singapour, Île Maurice…) mais fait déjà bien parler de lui dans le monde des opérateurs de mobilité… À suivre de près !

     Quand on parle d’Euralille, inévitablement c’est le nom du célèbre et tumultueux architecte hollandais, Rem Koolhaas, qui vient à l’esprit, lequel est d’ailleurs directeur cette année de la 14e Biennale d’architecture de Venise. Pourtant ce n’est pas lui qui est associé à cette opération qui se prépare sur le site. Près de 20 ans après son ouverture, le grand centre commercial, pièce maîtresse de cette opération emblématique de la fin des années 1990 dans la métropole du Nord, va en effet faire l’objet d’un vaste programme de requalification, pour un montant de près de 50 millions d’euros. Sur un an, le programme prévoit de le rénover en profondeur pour lui donner un second souffle. 30 % des enseignes vont être renouvelées, avec l’arrivée de marques internationales encore absentes du territoire lillois. La restauration sera repensée selon un concept de « Dining experience », articulant 8 restaurants avec terrasse. L’entrée du centre sera reconfigurée avec la réalisation d’un nouveau grand hall, et l’ensemble des déplacements intérieurs sera repensé pour permettre une expérience que les promoteurs annoncent « plus fluide et confortable ». Le sol quant à lui sera recouvert de parquet en bois exotique, une première, sans doute, pour un centre commercial, et un travail particulier sera fait pour permettre à la lumière de pénétrer davantage à l’intérieur du site. 400 emplois supplémentaires sont aussi annoncés à terme. Singularité de l’opération : celle-ci se déroulera de 22 heures à 7 heures du matin, le centre commercial ne pouvant se permettre de fermer sur les 14 mois prévus pour la durée des travaux.

La gare Austerlitz veut briller à nouveau

     Après la rénovation, assez époustouflante, de la gare Saint-Lazare à Paris, c’est au tour de la belle mais vieillissante gare d’Austerlitz de se lancer dans un vaste projet de rénovation. La SEMAPA, SEM parisienne historique à l’origine d’une des ZAC les plus citées en France (Paris Rive Gauche) vient d’annoncer avec Gares & Connexions le lancement d’une prochaine consultation internationale pour la rénovation du site. Les chiffres présentés au MIPIM sont impressionnants : redonner cohérence à un îlot de près de 100 000 m² (chiffre minimal pour entrer dans la cour des grands !) 3 000 m² de SHOB pour des équipements hôteliers, 47 000 m² de bureau, 600 places de parking, 17 000 m² de commerces. Sur le plan technique, les deux opérateurs se sont partagé le portage de la consultation : consultation A (SEMAPA) et B1 et B2 (SNCF). Le programme devrait aussi accueillir ultérieurement des logements. La consultation aura lieu d’ici à novembre, date du choix de l’équipe, puis le projet architectural sera lancé en 2015 et l’ensemble du chantier devrait courir jusqu’à 2021. Un projet qui s’annonce passionnant à suivre quand on remarque la complexité des circulations aux abords de la gare et dans sa périphérie, ainsi que les nombreux locaux tertiaires encore aujourd’hui vacants...