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Initiatives urbaines
#17
Rennes 2040 : Et si l’agglo était en autonomie alimentaire…
RÉSUMÉ > Chiche ! Demain Rennes parviendra à se nourrir elle-même. Ce rêve d’autonomie alimentaire né de la raison écologique n’est pas une plaisanterie. Trente étudiants d’Agrocampus Ouest ont planché sérieusement sur la question sous la direction de la chercheure Catherine Darrot. Dénichant et scrutant à la loupe tous les espaces nature de Rennes, ils aboutissent à un verdict sans appel. Oui, l’hypothèse de l’autosuffisance est viable dès l’horizon 2020. A fortiori leur scénario intitulé « Rennes ville vivrière » vaut pour les décennies ultérieures. Et « alimente» logiquement la série prospective « Rennes 2040 » que nous avons lancée en 2011 dans Place Publique.

     Évaluer le potentiel nourricier des trames vertes de Rennes Métropole, cela dans hypothèse où la population ne ferait plus appel qu’à des ressources locales pour sa nourriture, telle est la question de départ de « Rennes ville vivrière ». À partir de là les étudiants ont travaillé sur deux scénarios. Le premier dit « tendanciel » se contente de projeter dans l’avenir les caractéristiques du présent : nous mangerons la même chose, l’agriculture de Rennes Métropole, comme d’ailleurs les trames vertes, jardins privés compris, produiront les mêmes choses qu’aujourd’hui ; seul changement, de taille, toute l’alimentation sera basée sur les productions locales.

     Le second scénario frappe plus fort. Dit scénario « d’autonomie », il cherche à optimiser les capacités de la métropole à se nourrir de ses trames vertes. Il optimise la qualité des produits et la vitalité de l’écosystème cultivé, et privilégie des objectifs techniques réalistes : raisonnables, les étudiants veulent éviter la critique d’un scénario trop extrême pour être mis en oeuvre.
     Toutes nos productions seront donc consommées localement bien sûr, et porteront en outre le label agriculture biologique. Comme les animaux sont grands consommateurs d’énergie – et donc d’espace pour les nourrir – et comme nous savons consommer trop de produits carnés, nous réduirons de moitié nos calories d’origine animale : 20 % au lieu de 40 %, ainsi que le recommande l’OMS : nous mangerons davantage de fruits, de légumes, de céréales et de légumineuses. Le gâchis alimentaire sera traqué, de la production à la consommation, pour se réduire de 30 % à 20 %, une perspective réconfortante. En moyenne, la ration alimentaire sera de 2 000 calories/habitant (contre 2 300 actuellement, nous mangeons globalement trop) : moyenne obtenue à partir des besoins caloriques conseillés pour chaque tranche de population rennaise, hommes, femmes, personnes âgées, jeunes enfants.

Trames vertes et toits plats en culture

     Afin d’accroître les espaces productifs, une part plus importante des trames vertes sera mise en culture. Si l’on connaît bien les surfaces agricoles (34 881 ha) et forestières (1113 ha), il a fallu estimer les surfaces en toits plats (348 ha) et surtout les surfaces de jardins privés et publics de la Métropole (à partir des données communales et d’images satellites : 2400 ha). Les surfaces agricoles seront bien sûr toutes valorisées, 30 % des forêts seront plantées d’arbres « alimentaires » (des châtaigniers surtout), 40% des surfaces de jardins privés seront des potagers, 45 % des espaces verts (parcs, coulées vertes, bords de rivière…) produiront de la nourriture tout en restant publics (contre 0 % actuellement), ainsi que 60 % des toits plats de la ville.

     Au bilan, on gagnera près de 2 400 ha : un gain de surface d’à peine 7 % par rapport au scénario tendanciel, mais qui pourrait par exemple permettre de produire en agrobiologie cinq fois la quantité de pomme de terre consommée actuellement dans l’agglomération ! Ou autant de légumes plus variés… Les ruminants, bovins, ovins et caprins de race mixte élevés à la fois pour leur lait et pour leur viande, seront moins nombreux, et viendront seulement valoriser les surfaces en herbe. Poules, lapins et porcs achèveront de satisfaire nos besoins plus limités en produits animaux, tout en valorisant au mieux les sousproduits de notre alimentation. Le précieux compost que procurera l’élevage viendra fumer les terres locales, évitant les engrais chimiques et revitalisant les sols.

     Une fois ces scénarios définis, lLes étudiants se sont lancés alors dans l’élaboration d’un modèle, fin, méthodique et documenté, visant à établir un lien entre modèle alimentaire et modèle agronomique pour chacun des scénarios.
     Première étape, ils définissent les besoins alimentaires de Rennes Métropole 2020 des habitants de la métropole en Kcalories/habitant. Seconde étape, ils répartissent ces besoins caloriques selon les différentes catégories d’aliments du modèle alimentaire (différent pour chaque scénario). Troisième étape, ils précisent les calories/ gramme de chaque catégorie d’aliment. Quatrième étape, ils en déduisent le poids de chaque aliment à produire, en g/habitant. Cinquième étape, ils précisent les rendements régionaux pour chaque culture, ainsi que les rations pour chaque type d’animal élevé (le tout diffère assez nettement d’un scénario à l’autre, en raison du passage à l’agriculture biologique et du changement de types d’élevages dans le scénario d’autonomie).
     Sixième étape, ils en déduisent les surfaces nécessaires pour nourrir un habitant, en ha/habitant. Septième étape, ils déduisent la surface nécessaire pour nourrir toute la population, sur la base des projections démographiques pour Rennes Métropole 2020 (ou 2040 !). Huitième étape, conclusive, ils comparent surfaces réellement disponibles et surfaces nécessaires pour nourrir la population, toujours pour chacun des scénarios.

La ville vivrière moins gourmande en surface

     Au bilan, alors que notre modèle contemporain, traduit dans le scénario tendanciel de cette prospective, exigerait 0,30 ha/habitant pour nourrir la population rennaise, le scénario d’autonomie n’exige que 0,18 ha/habitant. L’ensemble des trames vertes de Rennes Métropole 2020 ne permettraient d’assurer que 22 % des besoins alimentaires de la population dans le scénario tendanciel (et seulement 16 % en 2040, compte-tenu de l’accroissement attendu de la population, si la ville et ses environs ne sont pas davantage « verdis »)1,contre 39 % dans le scénario d’autonomie. en 2020 (27 % en 2040. Dans ce second scénario, on pourrait toutefois imaginer que d’ici 2040, de nouvelles surfaces en trames vertes apparaitraient dans la métropole, accroissant d’autant son potentiel d’autonomie alimentaire). Le différentiel tient à l’ensemble des hypothèses posées pour lce dernier second scénario : davantage de surfaces productives, moins de surfaces destinées à l’alimentation animale pour favoriser l’alimentation humaine, un régime alimentaire plus équilibré.
     Bien sûr la métropole de 2020 l’avenir ne pourra se nourrir de ses propres surfaces : il faudra de toutes façons aller chercher au-delà, dans un « anneau productif » autour de la Ville-archipel. Du centre à la périphérie, il faudrait un cercle productif de 28 km de rayon pour nourrir Rennes Métropole 2020 dans le scénario tendanciel, (34 km en 2040 : les urbains seront plus nombreux), l’anneau productif complémentaire serait ainsi de 15 km de large2 en 2020 (en supposant, hypothèse d’école qu’il faudrait sans aucun doute retravailler avec les urbanistes, que les frontières de la métropole 2020 seraient celles d’aujourd’hui !), ou 20 km en 2040 (en supposant, hypothèse d’école qu’il faudrait sans aucun doute retravailler avec les urbanistes, que les frontières de la métropole du futur seraient celles d’aujourd’hui !). Le scénario d’autonomie n’exige, lui qu’un cercle de 22 km de rayon pour 2020 (26 km pour 2040), pour un anneau productif complémentaire de 8 km de large. (12 km en 2040).

     Les Rennais d’aujourd’hui voudraient déjà être plus « locavores », d’après une enquête menée auprès d’environ 150 personnes dans des lieux d’achats de la métropole aussi variés que possible. 88% d’entre eux souhaiteraient pouvoir acheter plus souvent des produits alimentaires locaux s’ils étaient plus faciles à reconnaître, mieux identifiés, et plus facilement disponibles près de chez eux. Si les consommateurs ne les achètent pas, ce n’est pas tant parce qu’ils sont plus chers (18 % des réponses) que parce qu’ils sont difficiles d’accès (27 % des réponses). Les lieux qui faciliteraient dans l’avenir l’accès à ces produits sont, selon l’enquête des étudiants, les commerces alimentaires mais aussi les arrêts de transports en commun et le lieu de travail. C’est sur cette base que s’est développée la suite du scénario d’autonomie : où transformer, vendre les produits locaux de demain, dans quels types de lieux et de commerce ? Quels seront en outre les impacts de telles évolutions sur le nombre et la nature des emplois du bassin de Rennes ?

    Afin de minimiser les transports du producteur au consommateur, les étudiants ont divisé le territoire local en petits bassins, pensés pour être autonomes en 2020 sur le plan vivrier : production, transformation éventuelle des produits et commercialisation s’y dérouleront dans une logique de proximité. Ce « territoire d’autonomie » s’étend au-delà de Rennes Métropole, jusqu’à pouvoir nourrir tous les habitants qu’il contient : le gradient décroissant de densité d’habitants entre Rennes-centre et les zones limitrophes de plus en plus rurales, dessine un maillage du territoire entre communes déficitaires sur le plan alimentaire, et communes plus excédentaires qui sont complémentaires. L’identification des zones excédentaires ou déficitaires en produits alimentaires brutes est primordiale pour comprendre et organiser les schémas logistiques. En effet, de ces estimations d’excédents/ déficits selon le territoire, va dépendre le positionnement des unités de traitement, conditionnement ou transformation des produits alimentaires brutes ainsi que le mode de commercialisation/acheminement jusqu’au consommateur.»
        Deux types d’exploitations sont proposées dans ce scénario d’autonomie, certaines spécialisées en maraîchage, d’autres adoptant au contraire un système de polycultureélevage très diversifié. Les produits seront transformés au pays : abattoirs et laiteries existants seront bien sûr maintenus et adaptés à ces nouvelles pratiques, d’autres seront créés en respectant une distance maximale de 10 km entre lieu de production et transformation. Les volumes de production nécessaires et le taux de transformation des produits proposés dans le scénario d’autonomie (plus faible qu’actuellement) permettent de définir le nombre et la taille des unités de transformations à prévoir pour les céréales, les oléo-protéagineux, les produits carnés et laitiers, les légumes.
 

     Ces petits bassins de production seront également semés de lieux de vente de proximité. Tous les circuits courts actuels liant le producteur au consommateur seront maintenus : paniers, magasins à la ferme, magasins de producteurs, et bien sûr marchés de plein-vent. Ceux d’aujourd’hui sont trop peu nombreux, il faudra bien sûr développer d’autres points de vente : à moins de 8 km de chez lui (une distance assez courte pour être parcourue sans véhicule motorisé en un temps raisonnable…), le consommateur devra trouver l’essentiel de son alimentation dans le scénario d’autonomie.
     Les étudiants proposent de privilégier les marchés de plein-vent et les magasins de producteurs, sur le modèle des magasins Brin d’Herbe ou Douz’arôme, dans chacun de ces petits bassins : deux modalités qui permettent de faire toutes ses courses « fermières » au même endroit. Le « territoire d’autonomie » 2020 défini les étudiants serait ainsi découpé en 11 petits bassins de consommations.

     L’impact de ce scénario sur les emplois locaux a pu être estimé, puis comparé avec le nombre d’emplois actuels. Le nombre d’exploitants agricoles sera bien sûr plus nombreux, en raison notamment de la plus forte densité de main-d’oeuvre exigée par les exploitations biologiques moins mécanisées prévues dans le scénario d’autonomie. En revanche, les consommateurs seront appelés à cuisiner davantage et acheter moins de produits transformés : le secteur des industries alimentaires perdrait des emplois, toutefois assez peu, compte-tenu du projet de maintenir sur le territoire de petites unités localisées de transformation de tous les types de produits agricoles. Les petits magasins de proximité et les marchés seraient légèrement moins employeurs que nos grandes surfaces actuelles.
     Au bilan, le scénario d’autonomie montrerait un solde légèrement positif en termes d’emploi : environ 13 000 emplois en tout attendus en 2020 dans le scénario d’autonomie, contre environ 12 000 actuellement selon l’estimation proposée par les étudiants qui restent prudents sur leurs résultats. Leurs chiffres rejoignent ici l’intuition d’une agriculture relocalisée créatrice d’emplois. Au cours de l’enquête, en interrogeant des représentants du modèle dominant d’aujourd’hui, et ceux des emplois de demain, les étudiants ont été fascinés par la promesse d’une possible réconciliation entre travail et plaisir, à travers des notions telles que l’autonomie, l’échange et le partage, la reconnaissance sociale…

     Interrogés sur leur souhait de voir fleurir des potager dans les parcs, les Rennais répondent oui massivement : au cours d’une enquête de rue auprès de 150 personnes dans différents quartiers, 84 % des répondants ont souhaité voir apparaître des espaces de production alimentaire dans les espaces verts publics, la moitié d’entre eux espérant en outre pouvoir s’y impliquer personnellement. Les parcs de demain seront donc vivriers.
     En poussant aussi la porte de jardins privés, les étudiants ont trouvé des potagers d’autant plus grands que l’on s’éloigne du centre rennais pour approcher les frontières de la métropole. Au centre ville, de petits jardins d’agrément, dans les zones plus rurales des jardins vivriers nourrissant leurs propriétaires et fournissant des dons nombreux pour leur entourage.

     Une réalité qui pourrait changer demain : une autre enquête menée dans divers lieux d’achats rennais montre qu’en cas de crise économique, la principale stratégie des habitants de la métropole pour garantir la qualité et la quantité de leur alimentation consisterait à cultiver son jardin. Second recours le plus souvent invoqué, se rapprocher d’un producteur local relèverait de la même logique. L’après-crise, l’après-pétrole à Rennes seront fait de légumes d’ici, rêvés maintenant, cultivés demain, dans les parcs, les jardins et les champs.
     Les maraîchers du dimanche ont appris en famille, pour plus de 80 % d’entre eux. Si le jardinage devenait ainsi vital et généralisé, l’enjeu des savoirs-faire deviendrait central : le scénario du tout-jardin – plus pour des raisons économiques qu’écologiques, d’après cette enquête, et c’est ce qui rend l’issue pressante - exigera sans aucun doute des formations sur-mesure, tant il est sûr que tous n’ont pas eu la chance d’avoir un parent aux mains vertes. L’anticipation commence aujourd’hui : former les rennais aux techniques du jardinage vivrier constitue manifestement dès à présent un enjeu crucial pour l’équilibre économique et alimentaire des populations du futur.

     L’approche proposée par les étudiants gomme volontairement les limites établies classiquement entre agriculture professionnelle et production alimentaire privée, qu’elle soit individuelle ou collective, ainsi qu’entre espaces urbanisés et alimentaires : on entre de plein pied dans une dimension « vivrière » de la ville-archipel, qui considèrerait tous les lieux potentiellement nourriciers, certains verdis ou reverdis. Tous les types d’espaces engagés comme tous les types de producteurs, du plus volontaire des agriculteurs au jardinier du dimanche, seraient valorisés, mobilisés.
     Il en va ainsi de par le monde, lorsque les populations urbaines défavorisées cherchent à assurer leur nourriture, au sud, à l’est, tout comme dans des villes industrielles occidentales renaissant de la crise, comme Détroit aux USA, en passe de devenir un emblème de ville verte. Il en va ainsi dans les pays en crise, hier par exemple dans le bloc socialiste comme aujourd’hui en Grèce, pour ne parler que de l’Europe. Il en irait ainsi à Rennes sans doute, si l’avenir nous projetait dans une crise énergétique ou économique. Il peut en aller ainsi, aussi, dans un avenir choisi et plus heureux, où notre alimentation s’affranchirait d’une logistique mondialisée, frénétique et anomique, pour reprendre un sens local, partagé, apaisé. Un avenir que se rêvent nos jeunes agronomes.