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Dossier
#32
Rennes, future cité internationale de la gastronomie ?
RÉSUMÉ > Située au coeur d’un territoire agroalimentaire qui cultive une cuisine entre terre et mer, Rennes-la-discrète a de nombreux atouts à faire valoir pour rejoindre Dijon, Lyon, Paris-Rungis et Tours dans le classement des Cités internationales de la gastronomie. Seul bémol, elle ne le sait pas encore, explique ici Freddy Thiburce, directeur du Centre culinaire contemporain et fervent défenseur de cette candidature rennaise.

     Rennes, métropole transculinaire ? La référence aux Rencontres Transmusicales mérite d’emblée une explication. À l’image de ce festival, événement majeur de la vie des Rennais depuis 35 ans, la transposition à la cuisine rennaise sonne comme une évidence. Favoriser les créations actuelles en se jouant des frontières et des familles corporatistes. Privilégier les échanges et les rencontres nourricières du changement. C’est vrai pour la musique. Ça l’est également pour la cuisine. Transculinaire, cela signifie être à la cuisine et aux « filières du manger » ce que les Transmusicales sont aux musiques actuelles et à la réputation de la ville.
    La cuisine rennaise est avant tout une cuisine bretonne qui vit au rythme des saisons et des marées. Ses hommes, ses produits, ses recettes, son patrimoine et ses initiatives lui confèrent bien quelques spécificités liées à son territoire. Pour autant, elle prend sa quintessence dans un environnement régional très riche. Son envol pourrait venir de la centralité de Rennes Métropole au coeur du Grand Ouest paysan et marin ainsi que d’une visibilité internationale renforcée.
    Dans son ouvrage de référence Cuisine traditionnelle de Bretagne, Simone Morand relate qu’au début du 18e siècle, tous les habitants de l’Ouest consommaient un même type de nourriture. Les bouillies de blé noir et d’avoine, le lard aux choux et pommes de terre ainsi que les galettes de sarrasin constituaient vraisemblablement la base de l’alimentation en Bretagne mais aussi en Anjou, Maine et Normandie. Les produits de la ferme (lait, beurre, volailles, porc, vache, puis boeuf et veau) étaient utilisés avec parcimonie pour les grands repas. La cuisine régionale populaire est à l’époque une cuisine paysanne. Elle s’est améliorée pour devenir une cuisine plus bourgeoise avec les jeunes filles de la campagne devenues cuisinières à la ville. Dans les carnets de cuisine des maîtresses de maison, bourgeois ou commerçants, les recettes de poissons de mer et d’eau douce foisonnent. Les potages de légumes y sont légion. On y découvre encore la charcuterie maison, de délicieux pâtés dont le fameux gros pâté rennais, des recettes de viandes et un assortiment d’entremets et de desserts généreux. Nous pouvons aussi évoquer les savoureuses pommes reinettes d’Armorique, la délicatesse du beurre de la Prévalaye, le secret du Marquis de Nointel, Antinous Béchamel, Rennais à l’origine de la sauce éponyme, la rusticité des poules Coucou de Rennes, la recette des artichauts à la rennaise, de la mitonnée au lait rennaise, du pommé rennais, du maingaux rennais, etc. Les plus curieux dévoreront L’inventaire du patrimoine culinaire de France consacré à la Bretagne, ses produits du terroir et recettes traditionnelles. Celui-ci témoigne de l’extraordinaire richesse de notre région et de notre ville.
    Pourtant, ce patrimoine n’a pas la réputation qu’il mérite. La réalité contemporaine n’est pas si éloignée de ce constat. Quelques produits locaux et initiatives tirent leur épingle du jeu mais il y a encore beaucoup à faire. La création du Cercle Culinaire de Rennes, école de cuisine pour particuliers initiée en 1994 par l’interprofession laitière, au coeur du premier département laitier français, s’inscrit dans la lignée des écoles agricoles ou de laiteries de la fin du 19e siècle, devenues pour certaines d’entre elles des écoles ménagères au début du 20e. Cette initiative a permis l’émergence d’un réseau national d’écoles hôtelières partenaires dans plus d’une cinquantaine de villes : les Cercles Culinaires de France. L’apprentissage à la cuisine pour tous, la connaissance des usages culinaires des produits laitiers mais aussi la transmission des cultures culinaires sont au menu des 200 professeurs de cuisine et de pâtisserie qui animent les cours proposés. Cette activité est à l’origine du Centre culinaire contemporain.

     Rennes, faut-il le rappeler, est avant tout la capitale de la Bretagne ! Première région agricole et première région agroalimentaire, la Bretagne est aussi la première région maritime de France. L’industrie de la viande, les produits laitiers, les fruits et légumes, la boulangerie, viennoiserie et pâtisserie, la transformation du poisson et les plats cuisinés sont ici des secteurs d’excellence. Ils accordent à la Bretagne une place majeure sur les marchés nationaux et internationaux. Avec une quarantaine de restaurants qualifiés de très belles tables et reconnus par la plupart des guides gastronomiques nationaux, la Bretagne s’affiche comme l’une des premières régions gastronomiques de France. L’association Tables et saveurs de Bretagne est l’ambassadrice de l’excellence bretonne et d’un art de vivre attaché à la vocation maritime de notre territoire. Selon Sylvain Guillemot, son Président, les chefs bretons y défendent, avec passion et engagement, ce « jardin posé sur la mer et le savoir-faire des producteurs, maraîchers, éleveurs, marins-pêcheurs et artisans des métiers de bouche ». Ces belles tables et leurs chefs sont les porte-voix d’une cuisine créative « terre et mer » qui rayonne bien audelà des limites géographiques de la Bretagne. Entre ces deux univers préalablement exposés, la région détient des atouts majeurs pour l’avenir. Tout est lié ! Le porc et la charcuterie, les produits de la mer et les plats cuisinés, le beurre et la biscuiterie… sans oublier le talent des cuisiniers amateurs et professionnels de toutes formes de restauration contemporaine afin de s’adapter aux évolutions sociétales, aux styles de vie actuels et aux modes de consommation qui en découlent. Ces divers croisements et alliances démontrent combien la disponibilité de la matière première et l’environnement au sens large influent sur les valorisations en aval. Les développements actuels de la filière algues, de l’aquaculture, de l’agro-écologie, des biotechnologies, des filières alimentation-santé comme Bleu, Blanc, Coeur (autour des Oméga 3 issus de la culture de la graine de lin) démontrent que le sujet est encore plein de promesses et de potentiels pour l’avenir. À une précaution près : repenser les marchés de la « fourchette à la fourche » et non plus l’inverse. Le moyen le plus simple pour y parvenir efficacement est de pratiquer l’innovation par les usages, d’adopter un principe de transparence permanent et d’impliquer très largement les usagers dans un processus de co-création et d’expérimentation ouvert.

     Quentin Caillot, cofondateur de l’agence de communication culinaire Geek & Food, évoque dans le dernier cahier de tendances culinaires 2014 « Food & restaurants » la « naissance d’une prise de conscience collective de la nécessité d’élargir et raisonner les variétés de poissons consommées en France » (voir le blog : geekandfoof.fr). Il signale que la cuisine des algues et les saveurs bretonnes influenceront cette tendance des « stars de la mer ». Depuis plusieurs années, Rémy Lucas, psychosociologue de l’alimentation, directeur de l’agence Cate Marketing, spécialisé sur les tendances culinaires, analyse et décrypte la cuisine proposée en restauration commerciale. Dès 2005, il soulignait l’émergence d’une tendance autour de la cuisine océanique. Celle-ci est plus que jamais d’actualité en Bretagne où les initiatives « terre et mer » se multiplient. Ce contexte est renforcé par le retour en grâce du beurre. Du Nord- Pas-de-Calais au Poitou-Charentes, en Normandie, en Pays-de-la-Loire comme en Bretagne, la production et la consommation de beurre agissent comme un véritable marqueur culinaire. Pour preuve, plus de 80 % du beurre français y est produit. Rennes y occupe une position centrale. On oublie parfois que cette milk valley innovante abrite une technopole laitière de plus de trois cent cinquante ingénieurs et technologues. De quoi légitimer de nouveau la cuisine au beurre ! Celle-ci a obtenu ses lettres de noblesse au 17e siècle avec la cuisine bourgeoise avant d’être décriée au cours du 20e siècle, qui consacre l’huile d’olive. En ce début de 21e siècle, elle retrouve des vertus nutritionnelles. Ajoutez à cela la diversité des productions régionales et la science des cuisiniers. Il en découle une opportunité unique : le menu océanique ! Celui-ci pourrait s’imposer comme une alternative crédible au régime méditerranéen et renforcer l’attractivité de notre territoire. L’extraordinaire vivacité culturelle et la diversité d’expressions artistiques pour lesquelles il y a tant à dire, tant à puiser, tellement la source est vive, doivent être mobilisées afin de conforter ces atouts

Numérique : vers une cuisine connectée

     La métropole rennaise affiche son ambition d’une smart city1 européenne, entreprenante et créative, orientée vers l’expérimentation et l’innovation. Elle affirme sa volonté de jouer un rôle de premier plan dans l’anticipation des usages et marchés de demain. Le territoire vise, entre autres priorités, à stimuler les acteurs de la chaîne alimentaire à s’adapter en permanence aux nouvelles tendances de consommation, à créer davantage de valeur ajoutée et investir les marchés internationaux. Le vieillissement de la population, les éco-activités et le numérique offrent de multiples opportunités de fertilisations croisées synonymes de nouvelles dynamiques de croissance, de nouveaux produits, services ou processus et autant de leviers potentiels d’innovation et de création de valeurs. L’expérimentation, le mode collaboratif, l’accès aux réseaux internationaux traduisent les moyens pour y parvenir. Rennes Métropole est une plaque tournante en matière de créativité numérique et entend le faire savoir. Pour preuve la dernière initiative en date, en octobre dernier, Opportunités digitales qui connecte Rennes au Québec dans les domaines des industries culturelles et créatives, de la santé mais aussi de l’agroalimentaire. Une structure comme l’IRT BCom témoigne de son ambition « d’innover pour le bien commun en produisant des innovations majeures dans le domaine des réseaux plus agiles et des contenus hypermedia ». Ce ne sera pas sans effet sur l’environnement local. L’apport du numérique est particulièrement prometteur dans l’observation des itinéraires de consommateurs et de professionnels, l’évaluation de la satisfaction client, la cocréation d’offres innovantes et l’émergence de nouvelles pratiques dans le domaine du marketing culinaire relationnel multi-canal. La « cuisine connectée » est à l’aube d’une ère nouvelle. Elle devrait rapidement s’imposer comme une interface systémique entre les clients/usagers/ citoyens et les acteurs de la chaîne alimentaire au sens large (agriculture, pêche, industries agroalimentaires, restauration hors foyer, distribution, équipementiers…) . Les bouleversements ne font que commencer. Chacun voudra savoir d’où ça vient, comment s’est fait, par qui, dans quelles conditions, comment choisir, acheter, se faire livrer, cuisiner, déguster, se régaler, le faire savoir et créer de nouveaux leviers de valeurs mieux partagés.

     Le repas gastronomique des Français a été inscrit sur les listes de l’Unesco au titre de patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2010. « Le fait d’être bien ensemble, le plaisir du goût, l’harmonie entre l’être humain et les productions de la nature2 » caractérisent cette reconnaissance. Le plan de sauvegarde approuvé par l’Unesco prévoit la mise en place d’actions visant à favoriser la transmission par l’éducation, des travaux de documentation et de recherche, l’intégration d’un volet dédié au repas gastronomique dans de grandes manifestations culturelles. La création du réseau des Cités de la gastronomie en 2013 vise à « promouvoir les métiers, les filières et les savoir-faire, à développer l’offre de formation professionnelle, à encourager la recherche et l’innovation, à stimuler l’éducation au goût et à sensibiliser le plus grand nombre aux bienfaits du bien manger ensemble ». Pierre Sanner, le directeur de la Mission Française du Patrimoine et des Cultures alimentaires (MFPCA), déclarait en juin dernier que « le réseau de Cités de la gastronomie à vocation à s’élargir pour être représentatif des patrimoines culinaires et des territoires3. » Il rappelait à cette occasion les trois exigences induites par une candidature : « être un lieu de culture et de découverte ; un centre de ressources, de formation et d’information ; un pôle de développement économique et touristique ». Dans ce contexte, difficile d’imaginer que Rennes ne puisse faire acte de candidature.

     Le Centre culinaire contemporain pourrait jouer un rôle moteur compatible avec les différents projets engagés par les autres villes et complémentaire en termes de positionnement d’activités. L’essence même de la candidature rennaise réside dans les trois objectifs définis dans le cadre des travaux du Comité d’Orientation Stratégique4 de la Plateforme d’ingénierie culinaire. Cette association fédère la centaine de membres et l’écosystème des acteurs qui soutiennent le déploiement des activités du Centre Culinaire et porte un projet de territoire s’articulant autour de trois axes : être facilitateur des convergences territoriales tout particulièrement sur le grand Ouest paysan et marin ; mieux nourrir les enfants, les générations Y-Z et les populations vieillissantes ; être une pépinière de projets innovants pour les acteurs du territoire et plus spécifiquement les TPE et PME.
    La candidature rennaise au réseau des Cités de la gastronomie apporte du grain à moudre à la réflexion de Rennes Métropole qui s’attache à mettre en place une politique de marketing territorial en lien avec la Novosphère et la SPL Destination Rennes. D’ici à 2017, Rennes Métropole devrait s’être enrichie d’EuroRennes, de la Cité internationale, du Centre des Congrès, d’un nouvel hôtel haut de gamme et, pourquoi pas, du titre envié de Cité internationale de la gastronomie !