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Dossier
#17
« Si l’on veut de la nature, il faut des tours »
RÉSUMÉ > Construire des tours. L’idée ressurgit à Rennes, densification urbaine oblige. Frédéric Bourcier, adjoint à l’urbanisme de la Ville, justifie ici le choix de la hauteur. Et indique quels sont les projets rennais dans ce domaine pour les années venir.

PLACE PUBLIQUE > L’idée de construire en hauteur est-ce une conversion récente de la part des élus rennais ?

FRÉDÉRIC BOURCIER > Dans l’histoire de la ville, sans jeu de mot, il y a eu des hauts et des bas sur cette question. Il est exact qu’il y a longtemps que l’on n’a pas sorti un IGH (immeuble de grande hauteur) à Rennes. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’interdits sur la question. En même temps ce n’est pas une question qui nous obnubile. Nous pensons simplement qu’elle peut être nécessaire pour son côté fonctionnel ou pour son aspect symbolique ou encore esthétique. C’est le cas par exemple, si l’on a besoin d’une skyline (panorama urbain, ligne d’horizon), car la tour est un signal important lorsque l’on arrive dans une ville. Cela dit, la ville n’est pas faite de « tout hauteur » ou de « pas hauteur ». La diversité est évidemment la règle.

PLACE PUBLIQUE > Vous-même, aimez-vous la hauteur ?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Personnellement, j’aime bien me trouver au 40e étage d’un immeuble, avoir une vue dégagée, une vue libre alors que d’autres personnes vont trouver cela effrayant. Comme j’habite le quartier du Blosne, il m’arrive régulièrement d’aller chez des habitants par exemple au 15e étage : on y a une perspective sur la campagne et sur la ville qui est très agréable. On y a aussi une autre relation au bruit de la ville. Et la question de l’ensoleillement ne se pose plus, il n’y a plus d’ombre…

PLACE PUBLIQUE > Naguère, la construction en hauteur était plutôt diabolisée. Est-ce qu’aujourd’hui il y a un totale adhésion à la hauteur au sein de votre équipe majoritaire?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Je l’ai dit, nous sommes décomplexés par rapport à cela. Pour ceux qui au sein de l’équipe portent la politique d’aménagement et d’urbanisme, Daniel Delaveau, Emmanuel Couet, Jean-Yves Chapuis, Guy Potin et moi, cette question ne fait pas débat. Cela dit, je pense que dans notre équipe comme dans la société les avis sont partagés.

PLACE PUBLIQUE > Il faut peut-être aussi s’entendre sur la définition de la grande hauteur

FRÉDÉRIC BOURCIER >
La définition de la grande hauteur est précise : pour les immeubles de logements, c’est à partir de 51 mètres, dernier plancher. Pour les immeubles d’activité, le tertiaire, c’est 27 mètres. S’il y a peu d’IGH en France, c’est notamment à cause de la réglementation. Ainsi en IGH vous devez avoir une surveillance pompier 24 heures sur 24, ce qui représente trois voire quatre postes équivalents temps-plein par an. Il faut le supporter financièrement ! Autre difficulté, l’organisation de la mixité : comment faire cohabiter des populations différentes : celle des habitants et celle de employés. Nous avons connu cela au Colombia avec des monte-charges communs aux espaces commerciaux, aux bureaux et aux logements : ce n’est plus possible aujourd’hui. Cela veut dire dans ce cas à qu’il faut prévoir des équipements supplémentaires.

PLACE PUBLIQUE > Justement, compte tenu de ces surcoûts importants, quel est vraiment l’intérêt de construire en grande hauteur?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Il est certain qu’il y a des effets de seuil qui freinent la construction à plus de 50 mètres, pour des raisons écologiques ou techniques, comme la résistance au vent au-delà de 80 mètres. Mais aussi pour des raisons économiques que ce soit en termes d’investissement qu’en termes de fonctionnement (les charges). C’est pourquoi, en France, ce que l’on appelle la « hauteur », cela se situe juste en dessous de 50 mètres. C’està- dire que l’on construit le plus haut possible tout en restant en dessous du seuil des contraintes règlementaires.

PLACE PUBLIQUE > Une écrasante majorité de Rennais considère les immeubles de 10 étages comme la chose la plus répulsive qui soit, selon un sondage Médiascopie de 2010 sur « les mots de Rennes Métropole ». Cette opinion très négative peut-elle modifier votre souhait de construire en hauteur?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Premier constat, nous n’avons pas en France de culture urbaine et architecturale. Derrière le rejet des tours, il y a un fantasme qui ne correspond pas à la réalité des gens qui y vivent. Regardez, quand nous sortons un programme de plus de dix étages, nous constatons que les appartements se vendent très bien et que les premiers à être vendus ont ceux qui sont situés en haut. Il y a donc une demande. Mais la conversion à ce modèle d’habitat est assez lente car nous sommes dans un pays qui a été longtemps un pays rural. Cela explique que chacun veuille sa maison isolée avec 500 m2 de jardin tout autour, parce que c’est l’image de l’intimité, de la tranquillité, de la convivialité. Je peux recevoir mes voisins dans le jardin, je peux faire un barbecue, les enfants peuvent jouer tranquillement, telle est l’image dominante, sauf que c’est un modèle de développement catastrophique. Aujourd’hui, l’on sait que l’on s’étale trop. Il faut surmonter cette contradiction qui consiste à la fois à souhaiter beaucoup d’espace pour soi-même et pour son propre habitat, et à refuser collectivement un étalement urbain écologiquement dommageable.

PLACE PUBLIQUE > Tout le monde est d’accord sur ce dernier point, mais c’est l’image de l’hyper-concentration urbaine et bétonnée que l’opinion semble rejeter.

FRÉDÉRIC BOURCIER >
C’est pourquoi, il y a des principes forts à respecter concernant le rapport au sol. Ce que le piéton voit est fondamental. Au-dessus des premiers étages, il y a ce que l’on appelle la canopée, jusqu’à une vingtaine de mètres. Ensuite que l’on soit à 25 mètres ou à 100 m, c’est pareil, c’est au-dessus, c’est le ciel. La question esthétique est évidemment fondamentale. Pour ma part, j’estime qu’il y a de très belles tours. De la même manière il y a des petits bâtiments assez laids et d’autres très soignés. Je pense que l’on peut faire avec les tours des objets architecturaux très beaux.

PLACE PUBLIQUE > Avez-vous des exemples ?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Je prendrais celui, emblématique, de Manhattan. Lorsque l’on n’est jamais allé à New York, on a l’impression de quelque chose d’invivable et d’irrespirable. Or ce n’est pas du tout le cas. Parce que là-bas est appliqué un principe de base : plus vous montez haut, plus il faut que les espaces publics soient soignés et dialoguent avec la hauteur. Souvent la voirie est généreuse, large, on élargit les trottoirs, on n’a pas cette impression de confinement. En France on a le tort de projeter dans la ville future ce qu’a été la ville médiévale que l’on se mettrait à monter en hauteur. Alors qu’il s’agit de prendre de l’ampleur en hauteur et aussi en largeur.

PLACE PUBLIQUE > Mais Rennes n’est pas Manhattan ?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
À Rennes, il se trouve que nous avons des configurations qui se prêtent aux IGH. Il est évident que dans la rue Saint-Georges nous ne ferons pas de la grande hauteur. Reste qu’il nous faut densifier la ville, ce n’est pas un gros mot, dès lors que l’on veut lutter contre l’étalement urbain. Et la hauteur, c’est une des solutions – mais pas la seule – pour densifier.

PLACE PUBLIQUE > Quels sont les projets précis actuellement à l’étude à Rennes ?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
En grande hauteur, il y a le projet d’une tour de bureaux de 90 m sur l’îlot Féval, près de la gare. Nous pourrions en avoir une deuxième de l’autre côté de la voie ferrée, au bord du boulevard Beaumont. Une troisième serait également envisageable au bout du boulevard Solférino. Mais toujours à des endroits où l’impact sur l’environnement est pensé, des endroits qui se situent sur un point d’articulation de la ville. Pourquoi par exemple a-t-on décidé de mettre une tour à Féval en bordure de l’Alma ? Parce que l’on est sur un axe, mais aussi que l’on est au-dessus des voies ferrées que cela constitue un signal que l’on peut envoyer aux voyageurs. Il y a une conjonction de choses.

PLACE PUBLIQUE > En dehors de ce site d’Eurorennes, quels projets ?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Il y a l’opération Baud-Chardonnet. Sur cette zone, nous aurons à la fois des petits immeubles et des tours, juste en dessous de la grande hauteur (50 mètres). Il y aura donc 5 immeubles de ce type, entre 14 et 17 étages. Ils seront édifiés sur la partie nord afin que la portée de l’ombre ne gêne pas l’ensemble du quartier. Pour ceux qui habiteront en coeur d’îlot, avoir une tour au nord, cela n’aura aucune incidence. De plus, élever des étages à cet endroit, c’est faire en sorte qu’un maximum d’habitants profitent de la Vilaine en contrebas. Je pense que le programme Baud-Chardonnet est un bon exemple pour illustrer l’importance de la localisation et la configuration urbaine quand on parle de hauteur. Nous systématiserons aussi l’implantation d’activité en bas de ces tours.

PLACE PUBLIQUE > Autres opérations ?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Nous nous posons la question d’implanter une tour sur la Zac Maurepas-Gayeulles. Il pourrait y avoir de belles perspectives sur le parc des Gayeules, plus loin sur la forêt de Rennes et ViaSilva, et puis, de l’autre côté, sur la ville. Nous pensons aussi à une tour au Landry qui se trouve à l’une entrée de ville par le sudest (rue de Châteaugiron), là où il y a la station Total. Dans notre démarche sur le Blosne, quand nous arriverons sur l’avenue Fréville, il y aura de la hauteur, uniquement pour le tertiaire. Il y a aussi pour plus tard sur une partie du site Savary, l’idée de monter jusqu’à 17 étages pour l’habitat. Au Blosne, l’urbaniste Christophe Cuny travaille beaucoup avec les habitants sur cette question du rapport de la hauteur avec la rue. Il y a aujourd’hui vraiment une réflexion des professionnels pour traiter ces trois parties du bâtiment : les 12 premiers mètres traités de manières très soignée avec balcons, après la canopée, et ensuite plus haut.

PLACE PUBLIQUE > D’autres projets, encore?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Nous aurons des petites émergences, par exemple une tour à rue du Languedoc à l’angle du bd Charles-Tillon, en face du restaurant universitaire. À la Courrouze aussi nous avons des hauteurs mais pas de « grande hauteur ».

PLACE PUBLIQUE > Et dans le projet Viasilva ? Les esquisses montrent une masse de verdure et semble-t-il des bâtiments plutôt bas…

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Erreur. À Viasilva, il y aura beaucoup de hauteur. Nous serons souvent en limite d’IGH. Il faut redire ici que l’intérêt de la hauteur est de permettre un emploi du sol beaucoup plus généreux pour la nature. Cela peut paraître paradoxal, mais si l’on veut de la nature dans la ville, il faut de la hauteur. Si j’habite au 60e étage d’un IGH, je suis bien sûr éloigné du sol, mais si j’ai un grand parc à 200 m de distance, la qualité de vie se joue là. Il ne faut donc jamais déconnecter la hauteur de l’espace public.

PLACE PUBLIQUE > Résumons: beaucoup d’immeubles de moins de 50 mètres, mais au fond aucun projet de grande hauteur hormis les deux ou trois tours de la gare de Rennes ?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Si, si, d’autres projets : pour la grande hauteur, nous avons un point d’interrogation sur Maurepas et un point d’interrogation sur le Blosne. Dans mon esprit, un jour, il y aura jonction Eurorennes-Blosne. Le principal atout de Rennes, c’est l’accessibilité, illustrée par l’avenue Henri-Fréville. Vous y avez une station de métro qui vous met à trois minutes et demie de la gare. Par ailleurs, la rue de l’Alma en double-sens sera directement connectée à la Rocade. À cause de cette accessibilité, il s’agit une zone idéale pour le tertiaire : de plus nous sommes sur une entrée de ville et sur une avenue très large. C’est donc là qu’il faut densifier.

PLACE PUBLIQUE > Vous avez évoqué le côté signal, symbole, entrée de ville. C’est ce que vous reproche vos opposants, en pointant une politique de gadget et de com’. Comment comptez-vous convaincre que cet aspect symbolique est important pour la ville ?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
En m’appuyant sur les réussites passées. Quelles sont d’un point de vue architectural et urbain les images que renvoie Rennes à l’extérieur ? Le Parlement de Bretagne, les Horizons, l’ancien bâtiment de France-Télécom à la Mabilais. On ne peut pas dire que les Horizons et France-Télécom, qui va être réhabilité par la société Legendre, ce sont des éléments qui dégradent la ville. Au contraire, ce sont des éléments qui expriment un dynamisme, une attractivité. Bien entendu, il ne s’agit pas de faire les Horizons partout, ce n’est pas le sujet, mais d’admettre que les tours sont des marqueurs qui peuvent être de qualité.

PLACE PUBLIQUE > Y a-t-il des architectes de tours qui ont vos faveurs ?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Édouard François fait des tours avec beaucoup de verdure à l’instar de son projet végétal, hélas non retenu, sur l’île de Nantes. Lui, promeut l’idée du partage qui consiste par exemple à installer des jardins au sommet afin que tout le monde en profite. Il y a aussi Jacques Ferrier, Christian de Portzamparc, Jean Nouvel, si l’on s’en tient aux Français. Mais partout dans le monde des gens savent faire des tours.

PLACE PUBLIQUE > Dans beaucoup de villes on a détruit des grands ensembles et des tours d’une manière spectaculaire. Pourquoi Rennes y a-t-il échappé?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Nous avons détruit sur Cleunay. Nous allons le faire sur Maurepas pour l’immeuble du Balleroy. Si nous ne l’avons pas fait davantage, c’est à cause de notre choix politique qui consiste à inclure les quartiers sociaux dans la ville et à toujours mettre le paquet pour entretenir le parc social. Nous préférons réhabiliter que détruire. Il y a toutefois un problème non-dit concernant les immeubles des années 60 ou 70 : ce n’est pas celui de l’isolation thermique que l’on sait améliorer, mais celui de l’isolation phonique. C’est énorme pour la qualité de l’habitat mais très compliqué à régler. Au Blosne et à Bréquigny, c’est le problème numéro un. Pour les tours et immeubles que l’on fait maintenant, il n’y a plus du tout ce genre de souci.

PLACE PUBLIQUE > Si vous rêvez la ville dans 20 ans en fermant les yeux, voyez-vous beaucoup de hauteur ?

FRÉDÉRIC BOURCIER >
Oui, notamment là où l’on a de grandes artères de communication et des stations de métro. que ces infrastructures profitent à un maximum de gens. On ne va pas s’amuser à faire une tour à Acigné ou à Bruz. La tour a toujours partie liée avec des fonctions urbaines : culture, animation, transports…