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Dossier
#29
Solenne Cucchi : « les solutions se construisent brique par brique »
RÉSUMÉ > La mobilité s’intéresse à la finalité du déplacement, pas seulement au moyen de transport utilisé, rappelle Solenne Cucchi, chef de marchés « nouvelles mobilités » chez Cofely Ineo, une filiale du groupe GDF Suez spécialisée dans le génie électrique. Cette jeune professionnelle milite pour une approche décloisonnée des mobilités. En s’appuyant sur les nouvelles technologies, porteuses de solutions innovantes. Mais sans négliger les attentes des territoires, qui doivent faire l’objet de réponses adaptées au contexte local.

PLACE PUBLIQUE : Vous êtes chef de marché « nouvelles mobilités » chez Cofely Ineo, une filiale du groupe GDF Suez. Qu’est-ce que cela signifie ?
SOLENNE CUCCHI :
Les problématiques de mobilités sont l’une des briques d’un ensemble de réflexion plus vaste autour de la ville de demain. La ville intelligente, c’est la ville équipée en technologies, mais avec la technologie au service de la ville, et non l’inverse ! C’est une distinction importante, car il y a toujours la crainte de voir la technologie prendre le dessus, au détriment du citoyen. Il existe un flou juridique actuellement dans l’utilisation des données et qui pourrait, si l’on n’y prend garde, donner lieu à des dérives. Chez Cofely Ineo, nous cherchons à imaginer la ville de demain, en plaçant le citoyen au coeur de la réflexion. La notion de transition énergétique est évidemment à la base de cette démarche. L’objectif de ville durable se retrouve donc dans cette approche de transition énergétique. Et la mobilité fait partie des solutions pour accompagner cette transition.

Comment définissez-vous cette notion de mobilité ?
On ne se pose pas suffisamment cette question ! En tant que professionnels de la mobilité durable, nous sommes parfois déçus de constater, au détour des colloques ou des publications spécialisées, que ceux qui s’expriment sur le sujet sont souvent des professionnels du transport (routier ou ferroviaire) qui ont simplement changé de sémantique mais qui conservent toujours la même approche, uniquement fondée sur les différents modes de déplacement. Alors que la mobilité, elle, s’intéresse à la finalité du déplacement, pas seulement au moyen utilisé ! Du coup, la mobilité englobe également une notion d’immobilité, elle interroge l’intérêt de se déplacer, ou pas. La limitation ou l’adaptation des déplacements, grâce au télétravail, au travail flexible, contribue ainsi à la définition de la mobilité. La mobilité des piétons, par exemple, est peu prise en compte, alors qu’elle devrait être incluse dans la réflexion globale sur les déplacements. L’éco-mobilité englobe des notions de services, de sécurité, de qualité de vie, sans oublier la notion de territoire. Car il n’existe pas de solutions toutes faites, sans prendre en compte les besoins et les spécificités de chaque lieu.

En quoi consiste votre travail, concrètement ?
Je travaille sur l’innovation, en appui transverse aux différents métiers du groupe. Actuellement, nos préoccupations tournent autour de la sécurité globale, des nouvelles mobilités, des tableaux de bord pour faciliter la gestion en temps réel de la ville par les élus. Sans oublier la notion d’efficacité énergétique, commune aux autres domaines. L’objectif est d’interconnecter ces systèmes. On peut ainsi faire des alliances entre risque et mobilité, énergie et mobilité… Nous promouvons une approche transverse mariant les compétences et les métiers, ce qui peut se faire à l’échelle d’une entreprise comme la nôtre, pour co-construire de nouvelles solutions.

Cette feuille de route doit bousculer les fonctionnements traditionnels dans l’entreprise !
Chacun perçoit les bénéfices de cette démarche, bien qu’elle ne soit pas naturelle dans les grandes organisations. La valeur des solutions co-construites de cette manière a souvent des répercussions positives pour les territoires, car elles génèrent des économies d’échelles. Un exemple : à partir d’une infrastructure de vidéo-protection, on peut rajouter des services de stationnement intelligents, à moindre coût, qui indiquent en temps réel la disponibilité de places de parking, via un logiciel qui collecte les données de manière anonymisée. Nous avons un pilote de stationnement intelligent en test actuellement à Angoulême. C’est une brique, parmi d’autres solutions.

Vous soulignez la capacité de marier des technologies. L’avenir des mobilités, c’est ce croisement de compétences et de solutions ?
Oui, je crois qu’il faut décloisonner nos coeurs de métiers et être ouverts à toute opportunité. On constate d’ailleurs que les nouveaux leaders de la mobilité ne sont pas les acteurs historiques du transport. Pour avoir un peu négligé ou déprécié l’importance des nouvelles technologies et d’Internet, certains acteurs peuvent se laisser rapidement dépasser. Il suffit de regarder le succès de Google, ou même de start-up, comme le site de covoiturage Blablacar, qui a su capter en quelques années une part de marché significative et peu anticipée. Il faut être ouvert aux alternatives. Sur le covoiturage, par exemple, le déploiement des smartphones et des applications a clairement boosté le marché.

Le smartphone serait donc le sésame des nouvelles mobilités ?
Oui, mais tout le monde n’est pas encore équipé. Il ne faut pas réserver les solutions aux hyperconnectés urbains : il y a un risque de segmentation et de fracture territoriale qu’il ne faut pas sous-estimer lorsqu’on lance un projet. Mais il est certain que lorsque la majorité des gens aura accès à un smartphone, cela ouvrira encore plus de possibilités, notamment en matière d’information. Il suffit de voir le succès de certaines applications qui facilitent l’usage des transports collectifs dans les grandes villes, par exemple.

N’y a-t-il pas tout de même des réticences à surmonter chez certains utilisateurs, en matière de protection des données privées, par exemple ?
Cette crainte, elle existe, et elle me semble saine ! Il y a un certain flou juridique sur l’exploitation de la Big Data. La diffusion des nouvelles technologies doit s’accompagner d’une éducation et d’une sensibilisation aux risques potentiels. Il ne faut pas être complètement réfractaire, car les nouvelles technologies offrent aussi de réelles opportunités d’amélioration des conditions de vie des citoyens.

Vous évoquiez à l’instant le lien aux territoires : les solutions ne sont donc pas interchangeables et universelles ?
Il y a des solutions globales, qui peuvent se décliner en fonction des besoins locaux. Actuellement, nous nous intéressons beaucoup à l’électro-mobilité : les véhicules électriques, avec des services d’autopartage publics, comme le service Mobili’Volt du Grand Angoulême, ou privés, à destination de développements immobiliers ou d’entreprises, en commençant au sein même du groupe GDF Suez. Cofely Ineo déploie et exploite également des réseaux de bornes de recharge électrique, par exemple pour Aéroports de Paris ou la région Poitou- Charentes. Nous proposons aussi des solutions de stationnement intelligent, qui intéressent beaucoup les collectivités. Les nouvelles mobilités viennent compléter des compétences qui existaient déjà au sein des activités du groupe. Nous cherchons à identifier en amont les besoins des territoires, grâce à une présence de terrain à travers 300 implantations en France qui permettent d’être à l’écoute des élus et des usagers. Nous proposons donc des solutions globales, mais qui sont toujours adaptées aux attentes locales, via des combinaisons sur mesure ou des partenariats avec des acteurs locaux. Les solutions de mobilité se construisent brique par brique !

C’est ce que vous êtes en train de proposer à Bordeaux.
Effectivement, nous avons un projet en cours de discussion sur l’aménagement d’un nouveau quartier dans cette ville. Cela rejoint une réflexion essentielle : pour moi, la mobilité doit être présente à toutes les étapes de l'aménagement du territoire, dès sa conception. D’où un dialogue très riche avec les architectes, en amont des projets, pour décloisonner les approches entre le transport, le logement, l’aménagement des espaces… De la même manière que l’on va prévoir de créer des places de parking lors de la construction d’un immeuble, il faudra pouvoir inclure de manière volontaire quelques voitures en autopartage, selon la taille du bâtiment. Les utilisateurs de ces véhicules pourront ainsi être incités à modifier leurs comportements. À Bordeaux, nous y réfléchissons à l’échelle d’un nouvel îlot, avec des solutions en autarcie énergétique et dans une logique de mixité d’usages, dans un quartier qui proposera à la fois des logements, des bureaux, des commerces et des hôtels, ce qui permettra ainsi d’optimiser le dispositif d’autopartage.