<
>
Initiatives urbaines
#17
RÉSUMÉ > Nous poursuivons une suite de portraits engagée il y a deux ans dans Place publique en compagnie des architectes-urbanistes ayant exercé à Rennes et Nantes. En prolongeant cette série, nous en modifions légèrement la focale : nous sommes toujours entre les deux métropoles, en nous intéressant plus particulièrement aux architectes dont l’activité est dominée par la construction. Des architectes entre 40 et 50 ans, disons dans « la force de l’âge », et dûment domiciliés au sein de l’une des deux grandes villes de l’Ouest. Après le Rennais Clément Gillet, place aux Nantais Michel Bertreux né en 1956 et Patrick Moreuil né en 1972, tous deux associés de l’agence Tetrarc (fondée en 1988) qui livre en ce printemps la première tranche de Casé Alté, une ambitieuse opération de logements dans le secteur du bois habité à Rennes-La Courrouze, rue Roger-Henri Guerrand.

    Jeunes architectes? Pour toujours! Michel Bertreux est l’un de ceux qui pourraient bien achever leur carrière « jeune architecte ». Il a pourtant désormais allègrement franchi le cap des 55 ans. L’homme est décidé tout en se prenant rarement au sérieux. Il était ce jour-là (très froid) de février accompagné de son cadet vif-argent Patrick Moreuil qu’il a invité à rejoindre le cercle des associés de l’agence Tetrarc. Un cercle par ailleurs composé d’Alain Boeffard, Claude Jolly, Jean-Pierre Macé, et des trentenaires Romain Cateloy, Daniel Caud, et Olivier Perocheau. Et c’est parti pour un déjeuner animé autour des projets nantais et rennais de l’agence.

PLACE PUBLIQUE > À quel moment feriez-vous remonter l’éclosion de Tetrarc sur la scène nantaise?

MICHEL BERTREUX >
Sans hésiter, je pense au réaménagement de la Place Bretagne, au pied de la tour du même nom, qui donna lieu à la fin des années 1990 à un marché de définition. La Commission européenne a depuis mis un terme en France à cette forme de consultation au nom du respect de règles de concurrence fort contestables alors que le « marché de définition » donnait lieu à des échanges très fructueux avec la maîtrise d’ouvrage et entre les équipes concurrentes. Nous y avons livré un Urban Mac en 2001 injectant de la complexité et de l’urbanité en empilant locaux commerciaux – Go Sport au rez-de-chaussée –, bureaux et logements avec jardins sur le couronnement affichant une nouvelle façon d’habiter en ville. Il faut penser à ce qu’était cette place auparavant, balayée par les vents, où trônait en son centre un bassin avec deux grosses sculptures caractéristiques des heures les plus sombres du 1 % artistique!

PATRICK MOREUIL > J’ai un grand souvenir de ce projet qui a évolué sans cesse au fil de la consultation. Et le site est fascinant puisque c’est l’un des seuls endroits de la ville où l’on distingue à l’oeil nu l’empilement de ses couches sédimentaires. Nous avions même imaginé creuser la roche pour déboucher directement sur la rue de l’Arche Sèche puis sur le Cours des 50-Otages…

MICHEL BERTREUX > Le marché de définition permettait aussi d’intégrer d’autres compétences. L’historien Gilles Bienvenu nous avait accompagnés, souvenir marquant. Grâce à lui, nous avions rendu un dossier phénoménal, 300 pages! Je crois bien que c’est ce dossier qui nous a permis de l’emporter. Pensez-donc, nous étions remontés au néolithique! Plus sérieusement, Gilles nous avait permis d’identifier précisément l’empreinte de l’architecte André Chatelin, Grand Prix de Rome 1943 et auteur du bâtiment d’origine qui avait d’abord accueilli la Trésorerie générale de Loire-Atlantique en 1960.

PATRICK MOREUIL > Ce bâtiment présentait la particularité d’être composé de blocs de pierre massive de 40 centimètres de côté posés délicatement sur un socle de verre. Original ! Très moderne en tout cas. Que faire ? Sans pouvoir conserver le bâtiment, nous en avons repris le principe: le verre au rez-de-chaussée pour les commerces, la pierre pour les bureaux, et les logements au-dessus. Nous avons cherché à rendre cet empilement des programmes directement lisible sur la façade.

MICHEL BERTREUX > Et dormir sur le Trésor public, quel meilleur programme?

PLACE PUBLIQUE > Plus sérieusement, c’était au fond un « macro-lot » avant l’heure?

MICHEL BERTREUX >
Un bâtiment-pilote, certainement, analysé depuis à plusieurs reprises. Et je pense en effet qu’à son échelle, il a pu servir de modèle.

PLACE PUBLIQUE > Quel a été le second moment marquant pour l’agence?

PATRICK MOREUIL >
Lorsque nous avons mis le pied sur l’Île de Nantes, au milieu des années 2000, en compagnie d’un promoteur rennais, Lamotte, qui lui aussi découvrait ce nouveau terrain de jeu après les heures glorieuses de la construction des tours des Horizons et de la barre Saint-Just à Rennes.

MICHEL BERTREUX > C’est à ses côtés que nous avons conçu les logements d’Arborea perchés au-dessus d’une clinique vétérinaire qui cherchait sa place sur l’Île depuis quelques années déjà. C’est bien connu, les chiens aboient et sentent mauvais ! Alors installons-les près de la voie ferrée, sur un grand terrain sans riverains… Alexandre Chemetoff avait eu, de son côté, l’intelligence de rendre constructibles de nombreux terrains sur l’Île, notamment le long des grandes infrastructures. La clinique y aura donc trouvé ses conditions de félicité. Jack Troussicot a réglé son aménagement intérieur, et nous avons construit les logements au-dessus. Une fois la clinique implantée, on s’est en effet aperçu qu’il restait un formidable droit à construire qui n’avait pas été anticipé à une telle hauteur. C’est à ce moment-là qu’Alexandre Chemetoff nous a conviés à faire un projet à partir de ces contraintes initiales. Nous avions tous en tête les logements de la butte Sainte-Anne : comment leur donner une réplique à l’est sur l’Île? Et puis, juste à l’arrière de cette parcelle, les tours Vulcain étaient encore mal regardées : comment les réinterpréter ? Nous avons donc cherché la simplicité et la générosité des espaces: un empilement de duplex et pour chacun d’entre eux, un vaste balcon sur deux étages avec un arbre à l’intérieur. Voilà le projet tel que nous l’avons conçu et présenté.

PLACE PUBLIQUE > En privilégiant la faisabilité plutôt que la forme, le « plan-guide » s’ouvrait en effet à de tels projets…

MICHEL BERTREUX >
C’était en effet son grand intérêt : des règles très simples de compensations de volumes et de hauteurs. Une hauteur maximale et une hauteur moyenne, sachant que la somme des volumes doit correspondre à la hauteur moyenne: débrouillez-vous avec ça! C’est génial. C’était la première fois que nous avions affaire à une règle aussi simple et aussi efficace.

PLACE PUBLIQUE > Cela fait un moment désormais que j’interroge des architectes ayant oeuvré sur l’Île et je n’en ai pas encore trouvé un qui ait eu à se plaindre de cette règle!

MICHEL BERTREUX >
Je ne sais pas ce qu’elle deviendra, cette règle… On souhaite revenir désormais à la « ville normale » sur l’Île, mais moi, je ne sais pas ce que c’est que la « ville normale »! Le plan-guide avait permis de trouver des capacités à construire là où on ne les attendait pas, et je doute que ce retour à la matière urbaine présente les mêmes vertus.

PATRICK MOREUIL > Ce plan permettait aussi la rencontre des intérêts, en l’occurrence une ouverture formelle de notre côté, et puis du côté du promoteur Lamotte, une certaine visibilité. Nous aurions eu sinon bien du mal à réaliser ce treillis de grandes loggias structurelles en bois, toute une aventure, jusqu’en Afrique!

MICHEL BERTREUX > J’en dirais autant des variations de couleur de la mosaïque qui font référence aux tableaux d’Olivier Debré autant qu’aux essais que Bernard Barto mena en face sur les tours de Malakoff… Le tout jouant sur quelques panneaux pris dans les références ordinaires du fabricant. Les tours, Vulcain ou Malakoff, il s’agissait de faire en sorte que cette histoire ne soit pas totalement méprisée.

PLACE PUBLIQUE > C’étaient les premiers pas du promoteur rennais Lamotte sur l’Île mais pas tout à fait en ville puisqu’il venait d’achever, avec Bernard et Clotilde Barto justement, l’opération de logements dite Magellan au débouché du Champ-de-Mars face à la Loire…

PATRICK MOREUIL >
Lamotte avait en effet repris et assuré l’achèvement de cette opération en cours4. Donc le promoteur était pour ainsi dire « averti ». Il avait commencé à travailler avec de nouveaux architectes qui n’étaient pas rompus à ses méthodes. C’était aussi notre cas et c’est du reste avec Arborea que nous avons vraiment commencé à nous atteler spécifiquement à la question du logement. Ce promoteur était donc à la recherche de nouveaux partenaires et souhaitait échapper un peu au toutvenant de sa production.

PLACE PUBLIQUE > Commencer avec 134 logements d’un seul coup, avec Arborea, ce n’est pas négligeable. Alexandre Chemetoff a su aussi jouer à merveille ce rôle d’agence matrimoniale, pour ainsi dire… Avez-vous travaillé avec d’autres promoteurs rennais ?

PATRICK MOREUIL >
Des concours avec le groupe Launay, oui, au nord de Rennes et à Nantes dans le quartier des Dervallières. Une excellente expérience même si elle ne fut pas couronnée de succès. Nous travaillons aussi avec Arc Promotion à Angers, mais le chantier est plus compliqué.

PLACE PUBLIQUE > Et la suite d’Arborea, les logements voisins de Playtime ? Toujours avec Lamotte!

MICHEL BERTREUX >
Il restait un bout de terrain à côté, alors on a inventé une autre histoire! Tout en s’y souvenant de la Place Bretagne – plutôt que de l’immeuble voisin – à travers le principe de l’empilement. Il est vrai que ces deux immeubles côte-à-côte ont relancé notre activité. Des gens sont venus les voir, on en a parlé, il y a eu des prix… Et nous avons alors été appelés à travailler ailleurs, plus loin. Dans la foulée, le chantier de La Fabrique a encore accéléré ce mouvement, nous permettant de concourir pour des « Smac » sur l’Île Seguin, à Rouen, à Nîmes…

PLACE PUBLIQUE > Si vous deviez définir votre architecture?

MICHEL BERTREUX >
Par le principe de plaisir : le balcon, on aimerait chaque fois qu’il soit plus grand que le séjour.

PATRICK MOREUIL > Mais aussi par la rigueur, la rigueur des plans surtout, et puis par l’attachement au dessin, et enfin par une attention aux formes « populaires » d’appropriation. Je pense en particulier aux logements et aux jardins de l’immeuble Boréal que l’on vient de livrer aux Dervallières. Pour moi, c’est une architecture « populaire ».

MICHEL BERTREUX > C’est une architecture « populaire » dans le sens où les habitants ne se posent pas de questions particulières sur son interprétation. En revanche, l’école « néo-moderne » aura provoqué beaucoup de blocages dans les articulations des architectes français… Moi, je viens d’un milieu populaire, et puis merde! J’en suis fier. J’ai toujours pensé que le « projet moderne », au fond très élitiste même s’il conviait les masses à tout bout de champ, était voué à l’échec dès son origine. Il suffit de regarder autour de soi pour s’en rendre compte! Se crisper sur la manière dont « tombe » un mur, c’est d’une bêtise! En revanche, je retiens l’importance stratégique de la question du logement, et pour longtemps. Et puis je retiens aussi quelques architectes de cette période héroïque. Alvar Aalto le premier, le seul que j’aie vraiment étudié au fil de ma scolarité pour son rapport sensualiste à la forme…

PLACE PUBLIQUE > Quelle est votre famille contemporaine ?

MICHEL BERTREUX >
Patrice Goulet et Jean-François Pousse sont deux critiques qui ont su s’impliquer dans notre travail. Et puis à l’école, j’ai apprécié des enseignants comme Hervé Bagot ou Michel Dudon – que j’ai plus fréquentés en tant que collègues qu’en tant qu’étudiant, je n’étais alors guère assidu. D’ailleurs l’enseignement a pris une grande place dans mes activités. L’arrivée des outils numériques, notamment, m’a captivé.

PLACE PUBLIQUE > Rennes a aussi son école d’architecture, sa maison de l’architecture, ses architectes… Quel regard portez-vous sur le dynamisme des deux scènes culturelles, nantaise et rennaise ?

PATRICK MOREUIL >
Question délicate ! Sur le plan de l’urbanisme et de l’architecture, les liens entre Nantes et Saint-Nazaire sont bien plus solides et réguliers que ceux qui pourraient unir Nantes et Rennes.

MICHEL BERTREUX > L’accès à Rennes a longtemps été compliqué pour les architectes nantais. Difficile, par exemple, lorsque j’ai débuté au début des années 1990, d’y être retenu sur un concours… Rennes, nous n’y allons guère. En revanche, nous sommes plus attirés par Bordeaux.

PLACE PUBLIQUE > Quelle est donc la référence qui vous a pourtant ouvert les portes de la Courrouze?

PATRICK MOREUIL >
Arborea, certainement, et la rencontre qui s’y est jouée avec un promoteur rennais. Avec toutefois le pressentiment que nous aurions du mal à nous y exprimer aussi librement que sur l’Île…

MICHEL BERTREUX > Mais nous y avons joué les bons élèves en répondant exactement à la question qu’on nous y posait, sans remettre en question le plan d’ensemble qui m’a pourtant laissé un peu dubitatif : la division en énormes îlots autocentrés, le retour à la barre et à la « tourette », des intentions un peu vagues, une tendance dommageable à la table rase… Les effets du plan d’urbanisme me semblent d’ores et déjà négatifs. Je pense aussi au grand axe de Beauregard, où l’on a travaillé pour un concours près de l’installation d’Aurélie Nemours : glaçant! Je crois que l’on arrive en France au bout d’une génération de grands architectes-urbanistes qui se sont raidis dans leurs positions et leurs principes. Il faut refonder cette discipline ou bien alors solliciter des talents étrangers. Je pense par exemple aux Hollandais d’MVRDV conviés à exercer leur talent à Bordeaux.

PATRICK MOREUIL > Saint-Jacques-de-la-Lande, la ZAC de ma génération pour ainsi dire, c’est raide. Ces îlots qui se retournent sur eux-mêmes sont très raides…Saint-Nazaire offre en revanche un territoire vraiment intéressant. Je pense en particulier aux acteurs du logement social nazairien, l’Office HLM Silène en premier lieu, qui nous a permis de travailler sur la densité, sur les nuances et les transitions entre logements individuels et collectifs avec Terra Nova, et sur la question de la maison et l’accession à sa propriété avec l’opération voisine Modulio. D’ailleurs, au terme d’une opération, il nous arrive souvent de nous dire: celle-là, on ne pourra plus jamais la refaire, trop difficile!

MICHEL BERTREUX > Se lancer dans de tels projets, c’est une forme d’engagement, et il faut d’abord trouver des maîtres d’ouvrage militants. Ce fut le cas aussi avec les logements Boréal conçus pour Habitat 44: 30 % de surface en plus « gratos », poser des serres prolongeant chaque logement, sortir les escaliers pour en faire des passerelles, dessiner des jardins partagés… C’était le cas aussi avec Yves-Marie Lecointre et Silène à Saint-Nazaire.

PLACE PUBLIQUE > Saint-Nazaire où vous êtes en ce moment chargé de tout le réaménagement du secteur gare suite à l’arrivée d’Hélyce, le bus à haut niveau de service… Lorsque l’on regarde attentivement l’ensemble de vos activités, on constate d’ailleurs que les transports y tiennent une place importante, depuis les aménagements autour du Busway à Nantes, un concours pour l’une des stations emblématiques de la future ligne B du métro rennais, Beaulieu Université…

MICHEL BERTREUX >
Je suis un enfant du retour du tram à Nantes. J’étais jeune alors, encore étudiant. Je traînais régulièrement à l’agence municipale d’urbanisme et j’y ai travaillé sur la première ligne avec Claude Jolly, puis sur la station de Pirmil pour la seconde ligne. C’était un travail souterrain, des études de circulation et d’aménagements urbains, que nous avons pu réinvestir ailleurs, sur la route de Vannes ou le long du Busway. Nous pourrions développer cet axe au sein de l’agence, il faudrait y penser.

PLACE PUBLIQUE > Quels seraient, à votre avis, les territoires de projet, à Nantes et à Rennes ? Les lieux d’où l’on pourrait observer la ville en train de se faire, où les cartes ne seraient pas encore toutes jouées…

MICHEL BERTREUX >
Dans la fabrique de la ville, la messe n’est jamais dite. Certaines positions et certains principes sur l’Île de Nantes pourraient par exemple être revus. Il y a encore du chemin à faire sur l’Île. Ainsi, nous avons suffisamment de partenaires désormais pour tenter un second immeuble Manny, mais nous ne trouvons pas l’endroit pour le faire, aucune parcelle, comme s’il n’y avait point de salut hors des grands îlots composés dans le prolongement de la Prairie-au-Duc… Comment concevoir un bâtiment autonome dans cette logique de macro-îlot ?

PATRICK MOREUIL > Je pense aussi à Chantenay, et aux rives de la Loire en général.