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Histoire & Patrimoine
#09
Un Michel-Ange redécouvert au musée des Beaux-Arts
RÉSUMÉ > L’Étude anatomique d’homme vu de dos de la collection de Robien semblait durablement reléguée aux anonymes. Répertoriée au 19e siècle dans les catalogues du musée des Beaux-Arts de Rennes comme une œuvre de Michel-Ange, cette attribution a fait l’objet au siècle suivant de nombreux débats et atermoiements de la part des spécialistes. Le maillage serré de hachures courbes et souples plaide en faveur d’une œuvre de jeunesse du grand maître florentin.

     Néanmoins, la finesse et la variété inhabituelles des traits de plume étonnent et, plus encore, le canon élancé du personnage déconcerte les connaisseurs. L’élongation de la figure avait d’ailleurs conduit un ancien propriétaire au 18e siècle à avancer, comme l’atteste l’annotation en bas à droite, le nom d’Andrea Boscoli, sous lequel le dessin est entré dans les collections du musée. À la fin du 20e siècle, un consensus s’établit pour rejeter la paternité de Michel-Ange, et le catalogue des dessins italiens du musée des Beaux-Arts de Rennes le présente comme un anonyme florentin des années 1540.

     Il a fallu l’intuition d’une petite minorité de chercheurs, qui y décelait encore la main du jeune Michel-Ange, et l’intérêt porté à cette étude anatomique dans le cadre de l’exposition « Heemskerck et l’humanisme » (musée des Beaux-Arts de Rennes, du 6 octobre 2010 au 4 janvier 2011), pour que la décision soit prise de dédoubler le dessin. À travers la feuille collée en plein sur son montage ancien, transparaissait en effet, par migration de l’encre métallogallique, un dessin réalisé au dos. La délicate intervention de restauration, savamment conduite par Marie- Rose Gréca, répondait en outre à des impératifs de conservation, car le papier bleu du montage était parsemé de piqûres. La mise à jour du verso, pour la première fois depuis plus de trois siècles, a livré des arguments décisifs en faveur de l’attribution du dessin à Michel-Ange par le professeur Paul Joannides, grand spécialiste de l’oeuvre graphique de l’artiste.
     La restauration a révélé un second Nu masculin vu de dos, de la même main et deux fois plus petite que la première, et une inscription autographe que l’on peut déchiffrer comme « Lenardo » ou « (A) Lessandro », deux noms qui figurent sur plusieurs dessins de Michel-Ange datant des mêmes années. Alessandro Manecti, mentionné dans la correspondance du frère de Michel-Ange, était sans doute un assistant ou un ami du maître. Le personnage de dos, dont le corps, dessiné depuis la nuque jusqu’en haut des cuisses, s’incline vers la droite, est selon toute vraisemblance une étude préparatoire pour un groupe d’hommes destiné au second plan de la célèbre fresque de la Bataille de Cascina commandée pour le Palais de la Seigneurie de Florence.

     La pose de ce personnage est fidèlement reproduite par Raphaël sur un dessin conservé à Oxford, préparatoire à un bas-relief peint par l’artiste dans sa fameuse École d’Athènes des chambres du Vatican. Le soldat brandit un bouclier du bras gauche et serre une épée de la main droite. Raphaël cite à plusieurs reprises dans ses compositions cette figure de Michel-Ange qu’il a vraisemblablement copiée lors de son séjour à Florence. Michel- Ange mettait en effet ses dessins à la disposition des jeunes artistes travaillant dans la ville toscane au milieu de la première décennie du 16e siècle.
     Raphaël a également copié un autre Homme vu de dos, conservé à l’Albertina (Vienne) et appartenant à la même série que le recto du dessin du musée de Rennes. Michel-Ange a réalisé vers 1505 quatre grandes études d’environ trente centimètres de haut d’hommes nus debout, de face ou de dos (outre celles de Rennes et de l’Albertina, deux feuilles appartiennent aux collections du Louvre). Il s’agissait peut-être de dessins didactiques que Michel-Ange confiait à ses amis et collaborateurs pour leur formation. Mentionnés précocement dans des collections françaises, ils auraient ainsi été apportés d’Italie en France par l’un de ses élèves, Antonio Mini. Doit-on s’étonner que l’un d’entre eux soit parvenu au 18e siècle entre les mains du marquis de Robien? Ce dessin double-face de Michel-Ange redécouvert vient rejoindre les autres feuilles des grands maîtres de la Renaissance italienne que renferme la collection de Christophe-Paul de Robien (1698- 1756), les célèbres drapés de Léonard de Vinci, la tête d’ange de Botticelli, la Pietà de Giovanni Bellini, la tête de Christ du Corrège… Cet ensemble somptueux de dessins italiens, qui fait de Rennes l’un des plus importants cabinets d’arts graphiques en France, ne cesse de surprendre. Tout à fait exceptionnel en province au milieu du 18e siècle, il se mesurait, sinon en nombre, du moins en qualité, aux grandes collections parisiennes d’un Pierre Crozat ou d’un Pierre-Jean Mariette.
Pourtant, il n’occupe qu’une place parmi d’autres au sein d’une collection encyclopédique, où les dessins et les estampes, conservés en portefeuilles dans la bibliothèque, côtoient les antiques et les spécimens d’histoire naturelle d’un cabinet de curiosités. Le marquis de Robien était en matière artistique un simple curieux plutôt qu’un vrai connaisseur. Historien, archéologue et botaniste, il n’a laissé aucun écrit sur ses dessins, alors qu’il a rédigé plusieurs volumes sur ses objets d’histoire naturelle. Il faut qu’il ait été particulièrement bien conseillé par ses correspondants parisiens, à l’instar des marchands Gersaint et Gabriel Huquier, auprès desquels il a probablement acquis, à la suite de la vente de 1741, une soixantaine de dessins provenant de la prestigieuse collection Crozat.