du régionalisme
Né dans la cité corsaire le 13 décembre 1886, Yves Hémar travaille essentiellement à SaintMalo et dans sa région. Formé à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, à partir de 1906, dans l’atelier Laloux, il obtient brillamment son diplôme quelques mois avant la Grande Guerre, à laquelle il participe entre 1915 et 1919. De retour en Bretagne, il regagne sa ville natale où il reprend l’agence des architectes Alfred-Louis Frangeul et Henri Robichon, en 1920. Avec ce cabinet, Hémar hérite de la fonction, toujours prestigieuse, d’architecte de la ville. Il trouve dans cet environnement une clientèle souvent fortunée qu’il côtoie dans les fêtes et soirées malouines.
L’activité d’Yves Hémar est essentiellement perceptible entre les deux guerres sur la côte d’Émeraude, mais aussi plus largement dans les départements d’Ille-et-Vilaine et des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor). Il combine régionalisme et modernité pour répondre au confort recherché par sa clientèle. Il reprend ainsi le motif du colombage par la mise en oeuvre du pan de bois, motif symptomatique du régionalisme. C’est ce répertoire qu’affectionne la clientèle de la côte d’Émeraude dont il conçoit les demeures.
La villa les Lutins est la première oeuvre d’Yves Hémar. Construite à Saint-Malo (2 avenue Victor-Hugo) en 1914, elle reprend le répertoire régionaliste par l’emploi du granite et du pan de bois, associés au bow-window donnant sur le large. En face (au numéro 3), il dresse, en 1923, les plans de la villa Ellerslie dont les parties supérieures en pans de bois sont dominées par un toit à l’impériale. Un motif qui se retrouve sur la travée centrale de l’hôtel de la digue (actuel hôtel Atlantis), sur le sillon, qu’il réalise en plusieurs campagnes de travaux. Les villas d’Yves Hémar se caractérisent ensuite par une opposition entre une façade moderne ouverte sur la mer et une façade traditionnelle renfermée sur la cour. Son langage évolue pour emprunter les éléments du manoir breton, dont il actualise la forme. La villa Le Revenant à Saint-Lunaire (1928), qui a récemment obtenu le label patrimoine du 20e siècle du ministère de la Culture, est marquée en façade sur cour par une tour d’escalier demi hors-oeuvre. Il reprend ce même motif, en 1935, pour la villa néo-bretonne Steredenn Vor à Paramé. Cette dernière est aussi un bel exemple de la production régionaliste d’Hémar par ses volumes et son décor de faux pans de bois pour les parties supérieures.
La poste de Rocabey reste dans la mouture des villas du bord de mer par son jeu de toitures. Le bureau de Saint- Malo (1928) présente, quant à lui, une structure orthogonale résolument moderne. Le rez-de-chaussée en bossage est marqué par trois arcades en plein-cintre de granite, tandis que la travée de droite est couronnée d’un toit à l’impériale, un motif déjà rencontré chez Hémar. Construit un peu plus tard, le foyer municipal de Combourg (1936) présente des évolutions semblables. La façade du bâtiment est dominée par un grand pignon, débordant en façade, sur lequel sont placés des motifs en enroulements inspirés des broderies populaires bretonnes au-dessus d’une baie allongée, un élément typiquement moderne.
Au début des années 1930, Yves Hémar adopte également des formes plus simples, le toit-terrasse et le béton bouchardé. Ces références se retrouvent de l’autre côté de la rade de Saint-Malo, àDinard, où il réalise le yachtclub ainsi que le Musée de la mer et son aquarium, sur le site d’une ancienne villa, en 1934. Au même moment, il conçoit une de ses oeuvres les plus importantes, la centrale hydro-électrique du Pont-Rolland sur le Gouessant, à Morieux (Côtes-du-Nord), établie entre 1933 et 1935 dans un style régionaliste, mais dont les formes sont modernes. Ce compromis entre régionalisme et modernité caractérise la production de cet architecte dans les années précédant la guerre.
En parallèle, Yves Hémar fournit des édifices plus classiques ou plus singuliers. Ses opinions à tendance conservatrice sont sans doute à l’origine de la commande du siège du journal Le Nouvelliste de Bretagne, à Rennes (aujourd’hui disparu). Construite avenue Janvier entre 1920 et 1923, cette oeuvre sort ici de son répertoire habituel pour adopter un dessin éclectique. Plus tard, l’architecte propose une oeuvre originale pour sa collaboration avec l’entreprise de la station de Sables-d’Orles- Pins, jusqu’en 1927 (année où Pol Abraham lui succède). Il conçoit pour cette dernière l’hôtel, inachevé, les Grandes Arcades, en 1924, sur le modèle des expériences architecturales marocaines, ainsi que les Petites Arcades, typiques du régionalisme international avec ses hautes toitures dont les pignons sont en pans de bois.
Le talent d’Yves Hémar est rapidement reconnu. En 1935, à la suite d’un concours d’architecture régionale, il est élu Grand Prix d’architecture par l’Académie d’art national, et reçoit également un premier prix d’art régional pour la Bretagne. Peu après, en 1937, à Saint-Malo, il termine l’église néogothique Notre-Dame-des-Grèves par la construction du transept et du choeur en berceau brisé.
Yves Hémar souhaite aussi dévoiler la modernité de la Bretagne dans le cadre des expositions internationales. En 1925, il prépare l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes avec les architectes Emmanuel Le Ray et Pierre Laloy. Plus tard, il fait partie du jury du Comité breton de l’Exposition universelle de 1937. C’est très tôt qu’Hémar s’intéresse à l’art traditionnel breton. Il fait ainsi partie du mouvement des Seiz Breur qui contribue au développement de la culture bretonne entre les deux guerres. Collectionneur passionné de mobilier breton, il expose ses pièces en 1924, puis les cède à la ville de Saint-Malo, trois ans plus tard. A la suite de ce don, un Musée d’art breton, inauguré par Paul Léon, le 3 juillet 1927, est créé dans le château. La collection est aujourd’hui dispersée.
Alors qu’il est proche du mouvement breton, ses choix idéologiques, sans avoir véritablement d’effet sur son inscription à l’Ordre des architectes en 1942, vont quand même entraver sa carrière après la guerre de manière significative. Visé par l’épuration, il se retrouve alors simple architecte d’opération pour la reconstruction de sa ville dont les plans sont alloués au Grand Prix de Rome, Louis Arretche.
Yves Hémar se voit néanmoins confier la construction, entre la baie de Saint-Brieuc et la rade de Saint-Malo, du troisième phare du Cap-Fréhel (1946-1950). Érigé en granit travaillé en bossage, le phare aux formes puissantes permet de guider les navires qui veulent entrer dans le port de la cité corsaire. Hémar signe sans doute ici sa dernière oeuvre de renom. Il met un terme à sa carrière, en 1951, et décède quelques années plus tard, à Saint-Malo, le 5mai 1955. L’importante activité d’Yves Hémar sur la côte d’Émeraude contribue à faire de la région malouine un nouveau centre de la création architecturale, au début du 20e siècle, en Bretagne.