L'éditorial
Tourisme urbain: rennes était en avance

     C'est un paradoxe qu’explore ce numéro de Place Publique! L’organisation française du tourisme urbain, dans les années 80, est partie de Rennes, capitale d’une région classée comme rurale et balnéaire. Des pionniers, comme Jean-Bernard Vighetti, directeur de l’Office de tourisme de Rennes de 1980 à 2004, ont mis en musique cette aspiration des villes à se faire belles (la rénovation urbaine), attirantes (une politique de promotion des congrès) et festives (les Tombées de la nuit) pour profiter de la vogue des courts séjours due à la réduction du temps de travail.
    L’office de tourisme de Rennes Métropole où se tinrent en 1988 les premières assises nationales du tourisme urbain assure toujours, d’ailleurs, le secrétariat de sa Conférence nationale permanente. Et pourtant, peut-on dire que Rennes soit une métropole touristique? Certainement pas! Elle n’en a ni les moyens, ni l’ambition et c’est peut-être une chance.
    Une métropole touristique a aujourd’hui un rayonnement international. Par son patrimoine, par ses fêtes, par sa modernité. C’est le cas des « grandes capitales »: Paris, Berlin, Prague, Rome, Barcelone même, ou – créations plus récentes – New York ou Dubaï. C’est le cas aussi de villes plus modestes que l’on affuble du qualificatif, vilain mais souvent justifié, de « touristifiées ». Voyez Bruges ou Venise, préservées comme des bijoux, mais presque momifiées. Venise, rappelle dans ce numéro l’article de l’universitaire angevin Philippe Duhamel, a vu sa population divisée par cinq entre 1780 et 1830. Elle n’a survécu que par l’intérêt que lui ont porté les Romantiques : c’est le tourisme qui l’a sauvée. Non, Rennes, entre Angers que le parc végétal Terra Botanica va peut-être réveiller et Nantes qui a pris un peu d’avance, est une ville moyenne qui cherche à développer sa fréquentation touristique mais peine à se distinguer des autres pour tirer son épingle du jeu. Les trois villes, d’ailleurs, ont ceci en commun: il est beaucoup plus facile d’y trouver une chambre d’hôtel le week-end qu’en semaine et l’été que l’hiver. Ce sont des villes où l’on vient pour le travail plutôt que pour l’agrément. Ce qui semble satisfaire l’hôtellerie: Rennes Métropole compte un seul hôtel 4 étoiles contre deux à Nantes et dix hôtels 3 étoiles comme Nantes. Les deux villes comptent d’ailleurs, en 2009, exactement le même nombre de chambres d’hôtels (8,6) pour 1000 habitants. Mais Nantes a fait un bond en ouvrant l’an dernier 650 nouvelles chambres (+ 13 %).
    Même si Rennes n’a pas la monumentalité de Bordeaux ou l’aura de Lille, capitale européenne de la culture – merci, l’Europe – ni la modernité de Metz avec le Centre Pompidou, ouvert ces dernières semaines, ou celle de Lens avec son musée du Louvre, le contexte lui est cependant favorable. L’intérêt pour la culture et le patrimoine ne se dément pas et Rennes est riche de son Parlement (61000 visiteurs en 2008, plus que le musée des Beaux-Arts) et de ses vieux quartiers comme de son sens de la fête. Son statut de capitale est attractif pour toute la région et sa position à deux heures de Paris, bientôt une heure et demie, peut diriger vers elle des flux nouveaux de touristes français ou étrangers, qui visiteraient aussi Saint-Malo, le Mont-Saint-Michel (1,2 millions de visiteurs à l’abbaye), ou le Golfe du Morbihan. C’est tout le mérite de l’office du tourisme, qui siège désormais à la chapelle Saint-Yves, bel exemple de patrimoine joliment rénové et grand ouvert maintenant sur une rue moins triste, de ne pas vouloir faire route tout seul. Mais de jouer « collectif ». Rennes entend bien parler tourisme, TGV oblige, avec Saint- Malo – elle y a des intérêts sans doute plus évidents qu’avec Nantes – et continuer à échanger avec les multiples réseaux de villes dont elle est membre.
    Les perspectives sont modestes, « durables » diraient certains. C’est peut-être une chance. Car une menace « insoutenable » pèse sur les villes qui veulent miser sur ces marchés très concurrentiels où chacun offre à peu près les mêmes choix à ses visiteurs, celle de céder, comme le décrit l’article de Gwendal Simon, à une « marchandisation » de l’espace urbain qui mêlerait des centres de divertissement high-tech, des centres commerciaux géants, des complexes cinématographiques, bref des loisirs factices à la Disney (15 millions de visiteurs par an!) et du « shopping » à la chinoise. Éric Le Breton montre bien, en suivant à vélo le parcours de Rose, au gré des rues, des places, des impasses et des jardins tout le bonheur qu’il y a, au contraire, à découvrir les petites choses de la ville.
    N’oublions pas qu’en ville le premier plaisir d’un visiteur est la déambulation, cette façon lente de goûter au spectacle de la rue, de découvrir une vitrine, de sentir une ambiance, d’emporter un souvenir, bref de goûter à la ville par tous ses sens. Pour cela, « les visiteurs sont en droit d’attendre un fini touristique urbain, des lieux tenus et entretenus, qui appellent une élévation des standards de qualité », affirme Rémi Knafou, universitaire et spécialiste du tourisme urbain.
    Dans ce « fini touristique urbain », la connaissance de l’histoire de la ville compte un peu sans doute. C’est elle, même dessinée à grands traits, qui va donner du sens à la visite, récompenser la découverte, gratifier la curiosité. Des expositions y pourvoient comme celle de la chapelle Saint-Yves, des potelets expliquent les lieux remarquables, des visites animées par des conférenciers formés à ce genre d’exercice sont riches de contenu, des livres comme le « Cartoguide » récemment paru chez Gallimard constituent de précieux renforts. Il faudrait aussi creuser encore plus l’usage qui pourrait être fait des nouvelles technologies numériques pour donner un intérêt ludique à ces aspirations culturelles. Et inventer sans cesse fêtes et festivals capables de faire taire définitivement les mauvais coucheurs du 19e siècle.Georges Guitton, dans un article sur les écrivains-voyageurs, rappelle le mot cruel de Gustave Flaubert. Captivé par une attraction foraine qui présentait un phoque au public sur les bords de la Vilaine, il écrivit : « Voilà ce que nous vîmes à Rennes. Quand le phoque n’y sera plus, qu’y aura-t-il à y voir ? »