L'éditorial

     Un millier d’urbanistes, d’experts, de techniciens, d’élus vont participer à Rennes les 19, 20 et 21 octobre à la 31e rencontre des agences d’urbanisme. Ce rendez-vous sera consacré au développement « durable » et à la ville: « Ville désirée, ville durable, un projet à partager ». Comment faire que la ville, dès aujourd’hui si possible, certainement demain, réponde aux besoins et aux aspirations de tous ? Comment concilier la nécessaire compacité de la ville et le désir d’espace, les logements basse consommation et les moyens financiers des ménages? Comment faire participer les citoyens à la définition de la ville durable et désirée par tous ? Toutes ces questions seront à l’ordre du jour de visites, à Rennes et à Saint- Malo, de débats, d’ateliers, de conférences. Le sujet est d’actualité. Depuis 1987, le développement durable s’est glissé puis installé dans notre vocabulaire. Tout, aujourd’hui, est qualifié de durable. Et plus le terme est employé, plus sa signification se dilue. Rappelons donc que « développement durable » est la mauvaise traduction de l’expression anglaise « sustainable development » (développement « soutenable ») popularisée en 1987 par un rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Onu intitulé « Our commun future », en français « Notre avenir à tous ». Souvent appelé « rapport Brundtland », ce rapport devait beaucoup à la présidente de la Commission, la norvégienne Gro Harlem Brundtland. Après avoir été ministre de l’Environnement (1974-1979), elle fut en 1981 le plus jeune – et la première femme – premier ministre norvégien, fonction qu’elle exerça à deux autres reprises de 1986 à 1989 puis de 1990 à 1996. Médecin de santé publique, elle fut ensuite directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé de 1996 à 2003. « Il y a un lien très étroit entre la politique et la médecine, disait-elle. Le médecin essaie de prévenir les maladies et de les soigner si elles surviennent. C’est la même chose que j’essaie de faire en tant que femme politique, mais à l’égard de la société ».
    « Le développement durable, disait-elle, est un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Cette construction – on l’oublie souvent – repose sur trois piliers indissociables : le respect de l’environnement, l’équilibre économique et l’équité sociale. Non, il ne suffit pas, pour faire du développement durable, de « verdir » l’économie en continuant à piétiner le social. Il ne suffit pas d’imposer de manière autoritaire un respect à outrance de l’environnement qui interdirait tout développement économique. On pourrait ajouter que le développement durable doit être l’affaire de tous, des collectivités et des autres institutions, des entreprises, des associations et de chacun de nous.
    Les enjeux sont connus: économiser l’énergie, lutter contre le réchauffement climatique et maintenir la biodiversité, assurer le développement économique sans augmenter l’effet de serre, répondre aux besoins d’extension des villes sans épuiser les ressources naturelles ni accroître les inégalités territoriales, faire face au vieillissement de la population tout en mélangeant les générations, associer les habitants à la vie de la cité et aux projets qui les concernent…
    Quels changements, tout de même, depuis 1987 ! En vingt ans, le développement durable a imposé ses enjeux et fait partager ses objectifs. Prenons l’exemple des projets de développement urbain. Au début des années 90, quand une commune préparait un lotissement, on lâchait les bulldozers et on faisait table rase sans se soucier des économies d’énergie, des paysages, de l’écoulement des eaux pluviales, de la mixité des formes urbaines, de la proximité des commerces, de la desserte en transports publics. Habite que pourra ! Ma maison, mon jardin, ma voiture, mon garage, mon « chez moi »… En France, l’équivalent d’un département tous les dix ans est urbanisé et ses sols « artificialisés », transformés en rues et parkings.
    Aujourd’hui, la tendance commence à se renverser. L’agence de l’environnement (Ademe), suivie par de nombreuses communes, a mis au point des méthodes qui renouvellent l’urbanisme : réunions d’information, comités de pilotage, ateliers auxquels participe la population sur la gestion des déplacements, les besoins en équipements et en services, la gestion de l’énergie, la qualité environnementale des logements, la gestion de l’eau, les formes urbaines et paysagères. Le tout débouchant sur l’écriture d’une charte qui va guider le maître d’oeuvre tout au long de la réalisation du projet. Temps perdu ? Que non ! répondent élus, architectes et citoyens. En associant la population, les premiers s’épargnent aussi les recours juridiques qui se multipliaient. En se remettant en cause, les architectes urbanistes replacent l’usage au coeur de leur métier. Les citoyens enfin, en touchant du doigt leurs contradictions, réfléchissent à leur manière de vivre et font des choix parfois avant-gardistes.
    Cette révolution culturelle est passée par de nombreuses rencontres internationales, parfois plus médiatisées que vraiment efficaces (Rio, Montréal, Kyoto, Johannesburg, Copenhague), par une mobilisation parfois décevante des énergies nationales (les Grenelle de l’environnement), par une montée en puissance des préoccupations écologiques dans l’opinion, par la popularisation d’exemples étrangers… Elle n’est pas finie, loin de là. Au-delà des écocités, des écoquartiers, des réalisations phares, c’est toute la ville qu’il faut changer, qui reste trop souvent le lieu de l’exclusion, pire de la réclusion: deux heures de métro, de RER ou de bus matin et soir pour courir à un travail aussi inintéressant qu’épuisant, dans le bruit, les bousculades et la pollution; un milliard d’habitants dans des bidonvilles : bonjour le rêve !
    On comprend pourquoi les élus rennais insistent tant pour ouvrir la ville durable à tous, aux titulaires du RSA et aux smicards autant qu’aux « bobos »: « BBC pour tous », « Produits bio pour tous »… Les nouveaux quartiers de Rennes (La Courrouze, Plaine de Baud) et surtout Viasilva, la nouvelle ville qui verra le jour au nord-est de Rennes et abritera quarante mille habitants d’ici vingt ou trente ans, sont porteurs de tous ces espoirs. Mais c’est dès aujourd’hui qu’il faut bâtir. Les nouvelles normes BBC seront obligatoires pour le logement en 2013. Comme le dit Bernard Poirier, vice-président de Rennes Métropole : « Tout retard pris aujourd’hui sera à rattraper plus tard. À marche forcée ».