Voici un mot en « -tion » beaucoup plus aimable que la moyenne. Association : « groupement de personnes qui s’unissent en vue d’un but déterminé », dit sobrement Le Robert. À partir de cette définition tout est possible. Vouloir cerner le phénomène associatif est une gageure car il s’agit d’une nébuleuse. Quel rapport entre une association de pêche à la ligne, un comité de défense de quartier ou une association à caractère social employant des centaines de salariés ?
Dans ce numéro de Place Publique nous tentons d’y voir plus clair. Partant aussi du constat qu’à Rennes les associations pèsent d’un poids considérable. À la fois tradition historique et manière de vivre ensemble, cette faculté de librement s’associer est plébiscitée et semble le coeur battant de cette ville.
Mais chacun le ressent. Une menace rôde. Les associations changent, les usagers zappent, les bénévoles se lassent, les finances fondent. Fin des associations ? Certainement pas. Viviane Tchernonog, chercheure au CNRS, spécialiste de la question, dresse ici le portrait d’un monde qui, loin de disparaître, connaît une sérieuse mutation.
Le portrait est semé de trous. Personne n’est capable de dire combien d’associations existent, 1,3 million en France, 15 000 sur Rennes Métropole. Mais c’est de l’à peu près. Chiffre plus parlant : un Français sur deux adhère à une association. On évoque 15 millions de bénévoles. L’on sait aussi que quatre associations sur cinq sont des petites structures composées à 100% de bénévoles.
Deux problèmes travaillent le milieu. Deux manques. La pénurie de financements, la pénurie de bénévoles.
Sur ces deux points, les spécialistes nuancent un tableau que le goût de la plainte incline toujours à assombrir. Globalement depuis dix ans, la masse d’euros impartie aux associations est plutôt en progression. Mais il est vrai que l’État retire ses billes et que ce sont les collectivités, surtout les communes qui prennent le relais. Il est vrai aussi que depuis la crise, les subventions publiques sont en voie de « contraction », selon la chercheure du CNRS.
Quant à la crise du bénévolat, beaucoup d’intervenants dans ce dossier récusent l’expression. Les bénévoles à qui nous donnons la parole ne se sentent pas en crise bien au contraire. Ils témoignent du formidable pouvoir d’épanouissement social et personnel que procure le bénévolat au sein d’associations quelles qu’elles soient (loisirs, humanitaire, sport…). On peut les croire. Ce vivierlà est sans cesse renouvelé, y compris par les jeunes générations, même si ces dernières s’investissent davantage dans des objectifs ponctuels et éphémères.
Si problème il y a, il est plutôt dans la lassitude des dirigeants bénévoles. Ils vieillissent et peinent à se faire remplacer. La tâche s’est professionnalisée, la tâtillonnerie administrative s’amplifie, les financeurs demandent des comptes restreignant la marge de manoeuvre et d’invention.
Le paysage évolue. À Rennes comme ailleurs. Avec, ici, une particularité reconnue et qui n’est pas qu’un simple slogan : l’extraordinaire vitalité de l’associatif. Cela vient de loin. Tradition de l’engagement et du collectif. Mais aussi relation très pensée, très discutée, très féconde, entre les associations et le pouvoir politique local. Un mariage entretenu depuis plus de cinquante ans. On a pu parler de « modèle rennais », paraît-il envié dans d’autres villes : cette manière de déléguer les services, la vie de quartier, le socioculturel à de simples citoyens motivés.
Tout ce qui fait Rennes, aujourd’hui, naît de l’associatif. Les Transmusicales, le festival Travelling, l’Espace des sciences, la Maison de la consommation, pour ne citer que quelques uns. Sophie Le Coq, sociologue, analyse comment les associations culturelles et artistiques avec leur fougue inventive sont ancrées dans la politique territoriale locale. Grâce à la relation contractuelle qui se noue avec la Ville, ces associations trouvent des ressources financières pour agir, dans la mesure toutefois où elles contribuent en contrepartie au développement, à l’image et à l’attractivité de Rennes.
L’histoire, à Place Publique nous pensons qu’il est toujours nécessaire de la rappeler. Elle éclaire le présent de la plus belle manière. Trois articles font ici ressurgir l’arrièreplan, la généalogie, de cette grande affaire associative rennaise. Il y a d’abord la rivalité entre catholiques et laïques, très présente dans la capitale bretonne. À la fois fondatrice et stimulante, cette « guéguerre » racontée par David Bensoussan commence autour de 1900. Le patronage catho de la Tour d’Auvergne, voulu par l’Église, démarre le premier, suivi en 1910 par son pendant laïque soutenu par la municipalité Janvier : le Cercle Paul Bert. Il s’agit d’entretenir le culte du corps par le sport et de préparer la revanche sur les Prussiens, tout cela sur fond de lutte idéologique. Ce combat a presque disparu, mais un siècle plus tard, les deux mouvements sont toujours là bien vivaces, le Cercle Paul Bert avec 10 500 adhérents, la TA avec 3 400 affiliés.
Plus récente et tout aussi fondatrice, l’histoire de l’Office social et culturel, créé en 1960 sous la municipalité Fréville. Une aventure à peu près inédite, née de l’humanisme chrétien, qui a accompagné l’entrée de Rennes dans la modernité à l’heure des nouveaux quartiers, des légions d’étudiants, des nouvelles aspirations sociales et culturelles. Le sociologue Armel Huet évoque le riche parcours de cet OSC devenu OSCR sous la municipalité Hervé avant de disparaître en 2004 : un vrai laboratoire social fédérant 400 associations, creuset de débats et de discussions, gérant les maisons de quartier, répartissant les subventions. Tout cela dans un esprit de délégation et d’autonomie.
Une troisième histoire est ici racontée par Gilles Cervera, à titre d’exemple. Elle illustre parfaitement le sort de beaucoup d’associations. C’est le parcours des Pupilles de l’enseignement public (PEP35). Ou comment une association de militants oeuvrant pour accueillir des orphelins de guerre se transforme au fil des décennies en une grosse machine gestionnaire d’établissements, salariant des gens, sous tutelle de la puissance publique, avec des bénévoles devenus administrateurs et qui perdent au passage leur repère et peut-être leur âme…
Nous l’avons dit, le paysage change, les deniers sont comptés, les règles de fonctionnement sont plus rigides: dès lors, les associations restent-elles encore le cadre idéal pour la liberté d’agir ? Cette question de la tutelle et de la liberté est au coeur d’une tableronde que nous avons organisée et dont l’on trouvera ici la trace. Débat souvent contradictoire entre Gaëlle Andro, l’adjointe à la vie associative, et Bruno Chavanat, le leader de l’opposition rennaise. Le second suggère notamment que via les conseils de quartier une sorte de mainmise municipale s’exercerait, contrariant la belle spontanéité de la base. Ce que dément la représentante de la mairie qui défend l’idée que la politique associative municipale se voue au contraire à faciliter la démocratie.
Mais tout le monde est d’accord. Le modèle « association » a encore de beaux jours devant lui à Rennes. Droite et gauche parient sur ses vertus ainsi que sur la capacité rennaise à sans cesse discuter, à sans cesse entreprendre, à sans cesse innover dans ce domaine-clé de l’agir ensemble dans la cité.