L'éditorial

     Pourquoi s’intéresser à la question des marges alors que les illuminations de Noël éclairent encore nos rues de mille feux ? Pas pour se donner bonne conscience, à l’heure des fêtes familiales et des bonnes résolutions solidaires. Mais parce que la manière dont une ville traite les marginaux en dit long sur sa capacité à « faire société ». Pas de sensiblerie déplacée dans ce propos, plutôt la conviction que ce qui se joue dans l’ombre de nos rues interpelle notre urbanité.
    Qui sont les personnes à la rue ? Quels itinéraires ont-elles emprunté avant de basculer dans la précarité ? Choix de vie ou contrainte économique ? Ruptures affectives ou rébellion sociale ? Place Publique est allé à la rencontre de ceux qui, nombreux, les accompagnent dans cette « errance », ainsi qu’on la nomme désormais. Porte d’entrée de la Bretagne, Rennes cultive depuis longtemps une réelle tradition d’accueil des routards, ce qui place sans doute la capitale régionale en bonne position sur la carte de France des « villes ouvertes ». Et l’afflux des migrants venus de loin bouleverse encore un peu plus la géographie des sans-logis.
    Ce « Rennes des marges » ne se dévoile pas facilement, même si, dans sa visibilité croissante, la présence des sans abris sur l’espace public ne laisse personne indifférent. Pour tenter de mieux comprendre cette réalité, nous avons interrogé des éducateurs de rue, des médecins et des sociologues, sans oublier les principaux intéressés eux-mêmes, qu’ils soient encore à la rue ou bien qu’ils en soient sortis, souvent après plusieurs années de « galère ». Pour illustrer ce dossier, le photographe rennais Richard Volante a saisi ces instants de rue, avec pudeur et réalisme.
    Marc Feldman, lui, n’a rien d’un marginal. L’administrateur de l’Orchestre Symphonique de Bretagne cultive pourtant sa différence avec un enthousiasme tout américain. Dans le grand entretien qu’il nous a accordé, ce New-Yorkais explique pour la première fois les raisons intimes qui le rapprochent de la culture bretonne et celtique, au nom d’une identité minoritaire partagée qui le renvoie à ses racines juives.
    Culture encore, historique celle-là, avec l’évocation d’Anne de Bretagne, morte il y a tout juste 500 ans. L’occasion de s’interroger sur les liens qui unissaient la « duchesse en sabots » à la ville de Rennes. Une relation finalement assez ténue, explique l’historien Philippe Hamon. Quant à la révolte des Bonnets rouges contre l’écotaxe cet automne, elle a incité Gauthier Aubert, spécialiste de l’histoire bretonne du 17e siècle, à revisiter la véritable révolte du Papier Timbré de 1675. Une mise en perspective bienvenue pour éclairer les origines lointaines de la contestation populaire actuelle.
    La Bretagne est décidément bien présente dans ce numéro 27 de Place Publique : l’écrivain Albert Bensoussan nous a fait parvenir un texte très personnel sur les raisons quasi-filiales de son attachement à la région. Il voisine en ces pages avec un autre lettré, Prix Goncourt celui-là, et qui vécut de longues années à Rennes : Robert Merle. Son fils Pierre raconte l’histoire de l’auteur du Week-end à Zuydcoote, romancier populaire longtemps boudé par la critique. Et c’est un poète qui n’aime pas la ville, René Cloitre, qui s’en explique dans le « Rennes des écrivains ». Dans un texte douloureux et parfois excessif, il exprime une perception critique du fait métropolitain qui mérite toutefois d'être entendue.
    Enfin, la rubrique « Villes d’ailleurs » nous conduit jusqu’à Astana, jeune capitale futuriste du Kazakhstan. La Dubaï des steppes est sortie de terre en moins de vingt ans. Ici, toutes les formes architecturales sont autorisées, de préférence clinquantes et tout à la gloire de l’homme fort du pays. Un modèle urbain très contestable, mais fascinant.
Bonne lecture et très heureuse année 2014 !