Dans le 9e arrondissement de Lyon, au nord-ouest, le site exceptionnel d’une colline surplombe la ville : la Duchère, ancienne place forte de la ceinture périphérique de Lyon au 16e siècle. Elle fait depuis plusieurs années l’objet d’une lourde opération de renouvellement urbain censée remédier aux effets bien connus de la politique des grands ensembles. Entre 1960 et 1970, 80 % d’habitat social y étaient prévus, dont un tiers réservé aux rapatriés algériens, un taux que les pouvoirs publics tentent aujourd’hui de faire descendre à 60 %. Le projet de la Duchère vise de manière plus large à requalifier tout ce bâti, en créant des polarités jusque-là inexistantes, autour de commerces, de brasseries… 66 millions d’euros ont été aussi investis dans des équipements publics (écoles, gymnase, maison des fêtes…). Une fois les études posées, le sénateur maire (PS) de Lyon Gérard Collomb, édile bâtisseur et peu conservateur, décida alors de les raser, sans concertation préalable. On voit ici à quel point la sensibilité personnelle du politique peut engendrer des projets radicalement différents. Bien que discutable, ce choix radical a semble-t-il été payant : la Duchère est aujourd’hui le site ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) le plus avancé, les habitants adhérant désormais largement à ce projet.
Restait à en changer l’image : la stratégie de la maîtrise d’ouvrage a été alors d’exposer les maquettes du futur quartier sur place comme au centre-ville, afin que les habitants du centre puissent prendre conscience des restructurations qui s’opéraient et reconsidérer leur propre regard sur ce site. Le but de la maquette était aussi d’inciter les ménages à acheter des logements à la Duchère, en proposant des prix très attractifs, les plus bas du marché du Grand Lyon (2 400 € le m2). Face aux investisseurs, la technique de la Mission « Lyon La Duchère » est particulière. Les aménageurs ont en effet tenté de provoquer un « effet masse » d’engouement des promoteurs locaux et nationaux pour le quartier à partir d’une intense et fructueuse campagne de communication. La Mission a aussi imposé aux promoteurs de travailler avec des architectes pour la construction de nouveaux bâtiments. Grâce à ce conditionnement sous-jacent, les acteurs ont aussi réussi à « forcer » les promoteurs qui voulaient s’installer à la Confluence de construire à la Duchère. Cette autre stratégie s’est révélée très efficace, en complément de l’intervention d’architectes de renom. Aujourd’hui, plus de 1 200 logements ont été détruits et 1 000 autres sont sortis de terre. 900 logements sociaux ont aussi été réhabilités et 13 copropriétés ont reçu des aides publiques pour les travaux de rénovation. 20 000 m² de bureaux sont en cours de construction, 6 000 m2 de commerces sont déjà livrés, et un second projet ANRU est annoncé… Intacte, la Tour panoramique reste le témoin symbolique de l’ancien quartier de « tours ». Le travail d’Alain Marguerit et de Bernard Paris, urbanistes-architectes du site, est réellement remarquable, avec de bonnes interventions architecturales et paysagères (notamment sur le grand parc en contrebas), qui le réorganisent totalement.
Le quartier ne constitue plus une enclave où l’on vient s’installer de manière contrainte : on y trouve un vrai plaisir de ville renforcé par la chance de pouvoir bénéficier d’un environnement végétal très riche dont la valorisation apporte un bénéfice incontestable à l’atmosphère du quartier. Petite nuance toutefois : une nouvelle boulangerie, ainsi qu’un restaurant, trônent sur la place principale du coeur de quartier. Les tarifs pratiqués apparaissent excessifs en comparaison avec les typologies d’immeubles et d’habitants peuplant le quartier, ainsi qu’en décalage avec les pratiques et niveau de revenus des populations résidentes. Faut-il alors y voir un micro-indice d’une gentrification rampante qui ne dit pas son nom ?
Destination périphérie ! Sur 500 hectares, nous voilà au Carré de Soie, au coeur d’un projet d’agglomération portant sur deux communes, Villeurbanne et Vaulx-en- Velin, en difficultés économiques et sociales. Ici, on lutte contre l’impression d’une situation excentrée et de la mauvaise image issue des émeutes du début des années 1980. Tout est mis en oeuvre pour donner un nouveau souffle à cet espace en friche, ancien site industriel majeur de production textile. On y découvre des quartiers à l’abandon, à cheval entre deux villes aux caractéristiques différentes sur le plan de l’habitat : Vaulx-en-Velin plutôt marquée par un habitat traditionnel et pavillonnaire, Villeurbanne étant davantage brassée sur le plan social. Ce sont aussi deux cultures de ville à concilier en un projet fédérateur : chacune est à la fois motivée par le projet, et craintive qu’il ne la dessaisisse de ses compétences ou du peu d’atouts qu’il lui reste.
La pierre angulaire du projet, qui vise à stimuler l’investissement privé, est un important pôle de loisirs et de commerces : hippodrome avec poney-club et piste de roller, parc urbain de loisirs, cirque, centre commercial (mais sans grande surface alimentaire…). Le volet habitat n’est pas très important en quantité et concerne surtout du logement social. Dans le programme de logements, on trouve la notion « d’îlot fertile », un îlot dont le coeur est en pleine terre, ce qui permet de maintenir les espèces en place, ou de planter de grands arbres, d’amener la nature au coeur de la ville. La conception de l’espace est originale : elle est basée sur de multiples polarités plutôt que sur une seule centralité, une approche de type « rhizome » qui peut être une façon de faire germer progressivement la vie dans ces anciennes friches industrielles, par petites touches… À condition de donner une lisibilité au quartier grâce à une identité forte, qui reste encore à bien définir et développer. La partie commerciale est bien montée : en assurant le lien entre activité économique et espace de loisir/détente, elle en fait un lieu alternatif de création de lien social, de divertissement, de rencontres et d’échanges par l’activité économique, comme dans la plupart des cas de friches industrielles. À la différence d’autres opérations plus maîtrisées, tout est ici affaire d’urbanisme négocié, entre autres sous l’égide de l’association « Tous en soie » qui regroupe les investisseurs du Carré de Soie et qui joue autant un rôle de lobbying que d’interlocuteur entre les collectivités et les entreprises.
Une partie du quartier est restructurée autour des bâtiments des anciennes usines textiles Tase fermées en 1980. La ville a décidé de conserver l’essentiel des bâtiments pour y installer une nouvelle entreprise, suite à une saisine des habitants, contre le projet de Gérard Collomb qui là encore aurait préféré le raser. En face de l’usine, une cité-jardin est toujours là : elle servait à l’origine à loger les ouvriers, et a conservé son aménagement originel. Le bâti est intéressant : l’association entre de la maison individuelle, des vestiges industriels, du logement collectif, du tertiaire, procure un paysage fait d’échelles très diverses. Il donne l’impression de visiter deux projets : d’un côté le projet urbain situé aux abords de l’usine, de l’autre celui du centre commercial.
Cet espace en reconversion a des atouts que les politiques et leaders du projet cherchent à mettre en avant : une belle qualité paysagère, une bonne desserte par le métro, tramway et le bus ; le foncier y est peu cher afin d’attirer une nouvelle clientèle. Malgré sa proximité qui le met à un petit quart d’heure du centre historique de Lyon, de l’aéroport Saint Exupéry et des gares de la Part- Dieu et de Perrache, le projet ne semble pourtant pas susciter un grand enthousiasme. Résultat : du côté des nouveaux logements, on a l’impression d’être dans une ville fantôme : pas de passants, pas de rue accueillante où circuler, pas de commerces en rez-de-chaussée des immeubles, et un immense parking en surélévation qui fait office de monstre gris. Les espaces verts privés au sein de chaque « îlot fertile » sont rendus angoissants par la présence de hautes grilles noires qui les clôturent. De plus, les immeubles sont élevés, et les balcons se font face sans grande intimité. En se dirigeant vers l’ancienne usine, on a l’agréable surprise de découvrir une belle intégration au paysage qui donne une sorte d’âme au quartier. Mais le franchissement vers le centre commercial est déconcertant : on doit emprunter une sorte de passerelle, qui aurait pu être esthétique, si elle n’avait pas été gâchée par un trop-plein de grilles, latérales et supérieures, donnant l’impression de circuler dans une cage, au travers des barreaux permettant de contempler le parking. Quand on accède enfin à l’espace commercial à ciel ouvert cette fois-ci, on ne peut que constater que les enseignes sont variées et assez prestigieuses, mais que les magasins sont notablement vides. L’image négative des lieux pèse donc encore sur cet espace qui peine à se reprendre.
Hétérogénéité : c’est sans doute ce maître mot qui résume à lui seul les 700 hectares du site de Gerland, cette fois au sud de Lyon, composés d’anciens équipements industriels, d’un site d’abattoirs à reconvertir, d’un port de stockage d’hydrocarbures, d’Universités dont l’ENS, d’entreprises, d’un biopôle de pointe. L’opération, lancée en 1997, doit faire face au lourd passif d’une image négative, dont celle de son supposé éloignement du centre-ville (il ne faut en réalité qu’un bon quart d’heure pour s’y rendre en métro). Ni les investisseurs ni les futurs propriétaires et résidents ne se bousculent pour le moment pour venir y habiter. La complexité de ce projet, c’est d’être pris dans une gouvernance associant de multiples acteurs aux logiques, calendriers, et priorités parfois divergentes, à laquelle s’ajoute une certaine rivalité entre Gerland et Confluence bénéficiant davantage d’attention de la part du maire de Lyon. Une « mission Gerland » anime cette opération, mène les études avec des groupements de prestataires, tout en travaillant sur le plan stratégique. L’objectif de Gerland, c’est de faire revivre ce secteur qui reste ancré dans un passé industriel révolu, comme en témoigne la Halle réalisée par Tony Garnier, avec un territoire beaucoup plus important que celui de son voisin Confluence qui possède le deuxième parc public de la ville, pourtant peu fréquenté par les Lyonnais du fait de son manque d’aménités.
Un des enjeux centraux est celui de produire un nouveau maillage urbain, de nouvelles voiries, propices notamment à des déplacements piétons (pour l’instant ces derniers sont sous-développés). L’autre face du projet est sa quête de conception d’une sorte de cluster de recherche à l’emplacement des anciens abattoirs. Il s’agit de regrouper les sciences sociales, les sciences du vivant, les facs, les laboratoires de recherche, les entreprises et l’ENS. Les aménageurs y ont pour ambition de développer un vrai projet urbain, au-delà du « bio pôle » déjà prévu. Mais actuellement, malgré de nombreuses percées visuelles, l’espace laisse une impression d’enfermement à l’extérieur à cause des grands grillages omniprésents, et les rez-de-chaussée commerciaux, pour certains vacants, dégagent une impression de désertion. Plus fortement, on ressent le paradoxe qui existe entre les normes de sécurités imposées et la volonté de créer des îlots perméables, les grillages ayant dénaturé les espaces verts en coeur d’îlot. Le tissu du quartier apparaît même hermétique, dur, une impression accentuée par la quantité encore impressionnante de voitures qui traversent le quartier. Gerland est donc certes un beau projet sur le papier mais sa visite laisse une impression de réalisation pour le moment en demi-teinte.
En revenant au centre, avec Confluence, on rejoint cette génération de projets complexes de renouvellement urbain à travers lesquels nombre de villes dotées d’un vrai fleuve se réconcilient avec de vastes espaces situés au coeur de leur agglomération. Confluence, résumée en deux mots, c’est : une première phase massive de régénération urbaine revalorisant d’anciennes friches ; une seconde phase dominée par une mise à niveau du secteur sur les principales thématiques en vogue comme le développement durable (avec le programme Concerto), la ville créative puis, récemment, la ville intelligente.
En se promenant sur les quais artificiels orthogonaux à la Saône, on se dit qu’il aura quand même fallu attendre l’arrivée de Collomb en 2000, pour que ce projet dans les cartons depuis Raymond Barre, voie enfin le jour. L’urbaniste François Grether le concevra sous une approche de l’urbanisme pragmatique, c’est-à-dire « progressive », d’où la découpe en trois secteurs opérationnels : une ZAC 1 à l’ouest, une ZAC 2 au sud-est le long du Rhône et le projet Rives de Saône qui traite sur 1,5 km les berges à l’ouest.
La première phase du projet (2003-2009) active 41 hectares, construit 400 000 m² dont un tiers de logements. Près de 22 hectares sont consacrés aux espaces publics et 17 pour les espaces verts ! Une inclination qui s’affirme au cours de la seconde phase avec les urbanistes Herzog & de Meuron et le paysagiste Michel Desvignes. Le Grand Lyon a aussi voulu à travers cette opération désenclaver le secteur en faisant passer le tramway en dessous de la gare. Cette action a permis d’ouvrir la barrière que constituait le pôle multimodal par son aspect froid et rigide.
Le montage opérationnel, appuyé sur le principe efficace d’une société d’aménagement dédiée, a permis que toutes les parties en macro-lots, avec leur architecture forte, soient livrées en même temps. Les partis pris urbains et architecturaux distinguent bien les rives Est et Ouest, et renvoient à la particularité de chaque cours d’eau, pour une bonne inscription des bâtiments sur leur territoire. Côté Saône, l’architecture se veut plutôt colorée, visible voire exubérante, avec des enveloppes diversifiées, des formes innovantes, un jeu avec les accidents… Côté Rhône en revanche, c’est la sobriété qui prime (« il faut calmer le jeu », selon Herzog et de Meuron) : des camaïeux de blancs, seules les hauteurs de bâtiments varient et créent la diversité.
Aujourd’hui, la qualité urbanistique de la Confluence, fruit de cette stratégie, est indéniable : en s’appuyant sur une géographie rectangulaire des rues, les urbanistes ont voulu reprendre une trame des vieux quartiers. La mixité des hauteurs et des typologies produit une diversité qui contrecarre la lourde monotonie de nombreux quartiers neufs. La continuité architecturale, visuelle et paysagère, permet de créer une identité propre au secteur. Les ponts-rues diagonales (absence de perpendiculaires) permettent une ouverture sur la vallée et de séparer la ville du parc. Dans le même esprit, l’eau (comme dans le cas de l’emblématique place nautique) vient séparer l’espace public (centre commercial) de l’espace privé (immeubles d’habitation). Au coeur du site, les espaces publics révèlent un réel potentiel de vie sociale, dans un ensemble de typologies architecturales diversifiées. L’objectif que tout appartement puisse disposer au moins d’une vue lointaine paraît ambitieux. Mais aujourd’hui l’ouverture est bien réelle.
La nature et le fleuve y sont aussi omniprésents, l’opération ayant tiré profit de la force du fleuve. Le projet est déroulé sur une trame bleue (fleuve, rivière, darse…), une trame verte, et une trame bâtie avec des îlots ouverts qui rendent la ville perméable et laissent passer le regard et la lumière. L’eau, le ciel, la lumière sont partout dans la Confluence. Le ciel, avec la darse où celui-ci se reflète, ainsi qu’avec les échappées des rues ouvertes avec jardin, qui ouvrent chacune une perspective. L’eau s’immisce autant dedans que dehors, conservant cette propriété particulière du sud du territoire qui, à l’origine, était un chapelet d’îles remblayées au 18e siècle. La Saône à l’ouest et le Rhône à l’est apportent leur énergie, leur lumière, leur mouvement. Chacune des rives dispose son identité propre, plus stricte et minérale à l’est, plus riante et débridée à l’ouest. Le Rhône arrive, torrent en amont, et repart dompté par Lyon. À l’intérieur de la ville, la darse et la base nautique font le lien avec les cours d’eau et l’eau se reflète aussi dans le musée des Confluences, positionné comme une figure de proue à la pointe sud.
Les stratégies de design urbain apparaissent alors clairement. Le fait de positionner le pôle de loisir comme locomotive du projet apparaît prometteur. La fluidité des liaisons avec la ville est aussi une belle réussite, clôturée par l’imposant pont Raymond Barre reliant le site avec Gerland en 7 minutes. Enfin, la stratégie engagée autour de la gare de Perrache a bien réussi son pari en ouvrant largement la Confluence aux 100 000 passagers qui y transitent quotidiennement. Et l’on y marche, avec plaisir, attiré par la qualité des espaces publics, la variété de l’architecture, le cheminement urbain ponctué de percements et d’îlot ouverts. Il semble que le concept de ville « marchable » ait porté ses fruits. Avant de repartir, on reste saisi par la profusion des circulations piétonnes, certes peu brassées socialement : la qualité d’un quartier ne peut-elle pas aussi se mesurer au nombre de piétons qui y circulent ?