Cette réminiscence de 68 me reporte à cette librairie fameuse à Villejean que les étudiants libertaires contribuèrent à piller, livre après livre, pour la bonne cause croyaient-ils, celle du peuple à coup sûr ! Fleurit en ce moment au bas des Tanneurs ce gimmick. Dans certains quartiers, sur les appuis de fenêtres ou les marches d’escaliers, à l’abri de certains halls, des livres sont tout simplement posés. À prendre, à emprunter, à essayer. La ville est lectrice, s’organise, troque et donne : moins besoin de transgresser !
Le photographe de Life, John G. Morris, 97 ans a bon pied et surtout bon oeil. Il a passé quatre semaines au moment de la Libération de la Bretagne, entre Coutances, Dol et Rennes. Des clichés restés longtemps au fond de ses tiroirs. Dont ce soldat libérateur sur les marches du théâtre, son arme en appui sur la colonne. Laquelle est encrée du pire : slogans antisémites et allégeance à l’occupant. Triste période dont les photos témoignent et harcèlent nos consciences. Commentaire du photographe sur sa photo : « A GI sat calmly on the steps of what appeared to be the local headquarters of Marcel Déat’s French Fascist Party. Their literature was scattered in the street. » (un GI était tranquillement assis sur les marches de ce qui paraissait être le Q G local du parti fasciste français de Marcel Déat. Leur littérature était éparpillée dans la rue).
Puisqu’on se souvient, je me souviens d’un vieil ami, Marcel Phillibert, mort à présent. Il me rappelait qu’à la pointe formée par les rues de Saint-Brieuc, aujourd’hui Louis Guilloux et Jean Baptiste de la Salle, se tenait une maison assez trapue, carrée, toit à quatre pans, d’où il avait, à seize ou dix-sept ans, réussi à s’échapper de la cave. Les miliciens y torturaient. À ce coin de rues, un peu loin de la ville, pas trop. Sur les terres de Villejean loin d’être loties. Cette maison restait visible jusqu’il y a quinze ou vingt ans, triste et inoccupée. Où s’élève aujourd’hui, venant de Brest, la sombre ligne du pignon signal et, en bas, son enseigne en forme de M.
Le check-point a disparu, pour cause de tunnelier peut-être. Jusqu’il y a peu, aux confins de St Jacques, juste avant la barrière de la rocade, quasi en embuscade, était positionné rien de moins qu’un canon ! Petit lance-roquettes qui pointait quoi ? Dirigé contre qui ? Étaient-ce les Jacquolandins craignant des Rennais ? Était-ce un imaginaire check-point du quartier de la Courrouze ou un mauvais clin d’oeil aux enfants qui vivent en 3 D ? Était-ce pédagogique ? Pour nous rappeler que même à Rennes la guerre est là ? Une nostalgie ? Ou simplement ce pragmatisme absolu des hommes qui savent que ces engins sont les nécessaires prolongements de leurs mains mortifères ? On s’étonnait de ce mauvais goût. Ravi que le chantier de la ligne B l’ait évincé.
La passerelle relie enfin la petite Californie à Saint- Hélier. Jouer à saute-Vilaine devient possible au lieu de faire le grand tour. La passerelle s’est faite désirer, elle n’en est que plus belle ! Comme tout de la ville. Ses chantiers annoncés, les palissades burénisées blanc et turquoise. Il y a ce temps de la ville en attente. Des passages se ferment, rue barrée, déviation et de petits passages s’ouvrent. Lumineux et dédiés !
Un mot sur le trottoir. La trace de ce qui viendra. Le post-it sur le frigo pour les courses et ici l’emplacement du futur poteau. Là qu’il sera fiché. Nommé avant d’être placé. C’est bien de voir s’écrire la ville. Imaginons « rue » ou « pont » ou « habitant ». Des pensebêtes sur les murs ou les palissades. On verrait venir la ville. On la préparerait in situ. Serait écrit sur le sol ou le ciel ce qui d’elle arrive. Certains soirs, ce serait écrit « bruit ». On ferait attention. On se préparerait à se boucher les oreilles avec des bouchons solides.